Décision No. 19/2022



Décision n° 19/2022

Date : 22 décembre 2022.

Requête : n°17 du 16 novembre 2022.

Requérants: Les députés Paula Yacoubian, Ibrahim Mneimneh, Nabil Badr, Wadah Al-Sadek, Ousama Saad, Firas Hamdan, Elias Jaradi, Yassin Yassin, Charbel Massaad, Cynthia Zarazir, Rami Fanj, Halima Kaakour, Abdel-Rahman Al-Bizri.

Loi partiellement contestée : La loi n° 306/2022 du 11/3/2022, visant à modifier certains articles de la loi du 9/3/1956 relative au secret bancaire, et l'article 150 de la loi mise en œuvre par le décret n°13513 du 1/8/1963 et ses modifications (Code de la monnaie et du crédit), l'article 23 de la loi n° 44 du 11/11/2008 et ses modifications (Code des procédures fiscales) et l'article 103 du décret législatif n° 144 du 12/06/1959 et ses modifications (Loi de l'impôt sur le revenu), publiées au Journal Officiel n° 47 du 3/11/2022.

 

Le Conseil constitutionnel,

Réuni en son siège le jeudi 22 décembre 2022, sous la présidence du juge Tannous Mechleb, et en présence des membres, les juges : Aouni Ramadan, Akram Baasiri, Albert Sarhan, Riad Abu Ghida, Omar Hamze, Michel Tarazi, Fawzat Farhat, Elias Mecherkani et Mireille Najm.

Après lecture du recours et du rapport,

Et après examen et délibérations,

Il apparait que le 16 novembre 2022, le député Elias Jaradi s'est présenté au siège du Conseil constitutionnel et a soumis une requête co-signée des députés Paula Yacoubian, Ibrahim Mneimneh, Waddah Al-Sadek, Ousama Saad, Firas Hamdan, Yassin Yassin, Charbel Massaad, Cynthia Zarazir, Rami Fanj, Halima Kaakour, Abdul Rahman Al-Bizri et Nabil Badr, en vue de contester  partiellement la constitutionnalité de loi n° 306/2022 susvisée, enregistrée au greffe du Conseil sous le n° 17/2022, en vertu de laquelle ils requièrent la recevabilité du recours dans la forme et, dans le fond, l’annulation  partielle de la loi et le renforcement de certains de ses articles par des réserves interprétatives contraignantes, en alléguant ce qui suit :

1-     Les alinéas (2) et (3) du paragraphe (B) de l’article 2 nouveau de la loi sur le secret bancaire, modifié par l'article 1er de la loi contestée n° 306 du 28/10/2022, n'excluent pas la catégorie des conjoints de l’application du secret bancaire, ainsi que les enfants mineurs, les prête-noms et/ou les fiduciaires et/ou tuteurs, et/ou les titulaires de droits économiques affiliés aux candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyariya mentionnées à l'alinéa 2, il en est de même pour les personnes mentionnées à l'alinéa 3 susmentionné, à savoir les présidents et membres des conseils d'administration des banques et leurs directeurs exécutifs, les commissaires aux comptes actuels et anciens, ainsi que les présidents et membres des conseils d'administration des sociétés qui gèrent ou possèdent les médias audio-visuels, écrits et électroniques, tandis que la catégorie des conjoints et autres personnes affiliées au fonctionnaire public en est exclue à l'article 1er , ainsi que celle affiliée aux chefs d'associations et d'organismes administratifs qui s'engagent dans une activité politique et aux organisations de la société civile prévus à l’alinéa 2, ce qui constitue une violation du principe d'égalité, et nécessite l’annulation partielle du  paragraphe (B).

2-     L'alinéa (2) du paragraphe (B) de l’article 2 nouveau de la loi sur le secret bancaire, modifié par l'article 1er de la loi contestée, est entaché d'une certaine ambiguïté, ce qui ouvre la voie à une application arbitraire et discrétionnaire  de ses dispositions, contraire à l’objectif de la loi et à l'intention du législateur, relativement aux candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyariya, car leur énumération parmi les personnes affiliées aux présidents des associations et des organismes administratifs qui exercent une activité politique, ainsi que les organisations de la société civile, c'est-à-dire dans la catégorie des conjoints et des enfants mineurs, des prête-noms et/ou des fiduciaires et/ou des tuteurs et/ou des titulaires de droits économiques, crée une confusion et des interrogations sur la question de savoir si cette clause est limitée aux candidats affiliés à des associations et des organismes administratifs exerçant une activité politique, ou des organisations de la société civile,ou  dont la candidature est soutenue par de tels organismes, ou s'il inclut tous les candidats aux élections, qu'ils soient affiliés ou non aux associations, organismes administratifs et organisations de la société civile mentionnés au même alinéa (2), ce qui nécessite de lever l'ambiguïté de l'alinéa (2) du paragraphe (B) , en interprétant cet alinéa et en imposant son application comme suit : cet alinéa comprend tous les candidats à toutes les élections parlementaires, municipales et ikhtiyariya, qu'ils soient affiliés à des associations exerçant une activité politique ou à des organisations de la société civile, ou qu'ils ne soient pas affiliés, dans leur candidature ou dans leur activité, à une quelconque entité ou personne.

3-     Le dernier paragraphe de l’article 2 nouveau de la loi sur le secret bancaire, modifié par la loi contestée, est entaché d'une certaine ambiguïté, d'un manque de clarté et d'incohérence, ce qui ouvre la voie à une application arbitraire et discrétionnaire de ses dispositions de manière qui pourrait être contraire à l’objectif de la loi et à l’intention du législateur, à l’égard de ce qui suit :

- En ce qui concerne l’expression « qui a exercé antérieurement les responsabilités qui y sont mentionnées au 23 septembre 1988 jusqu'à ce jour », qui pourrait laisser entendre contrairement à l'objectif du texte, que seuls y sont soumis ceux qui ont assumé la responsabilité à compter du 23 septembre 1988, de manière à exclure quiconque a exercé cette fonction avant cette date et a continué de l’exercer au-delà. En outre, l'expression « jusqu'à ce jour » peut être interprétée, contrairement à l'intention du législateur, comme signifiant la nécessité de continuer à assumer la responsabilité à partir de cette date jusqu'à présent, sans aucune interruption, ce qui contredit l’expression « antérieurement » contenue dans le même texte, ainsi que l'expression « y compris ceux qui ont été à la retraite ou sont démis de leurs fonctions » contenue dans le même paragraphe.

- Concernant le délai de cinq ans : ce paragraphe n'indique pas s'il s'applique également à la catégorie des personnes ayant exercé auparavant une fonction publique à partir du 23 septembre 1988. Cependant, la manière dont ce paragraphe est rédigé, notamment en attribuant à cette catégorie une texte indépendant de la catégorie couverte par la période des cinq années, indique que l’intention du législateur n’est pas d’appliquer le secret bancaire à cette catégorie de manière permanente et non seulement pendant une période de cinq ans après la fin de leur mandat.

Ce qui nécessite de renforcer le texte de ce paragraphe et de lever toute ambiguïté dans ses dispositions au moyen des réserves interprétatives, afin que ce paragraphe soit interprété et appliqué comme suit : « Les effets du paragraphe (B) du même article sont applicables à ceux qui y sont mentionnés même après la date de leur démission, de leur cessation de fonction ou de leur mise à la retraite, durant toute la période où ils exerçaient leurs fonctions énumérées ci-dessus et pendant une période supplémentaire de cinq ans par la suite. De même, ces dispositions sont applicables à ceux qui ont exercé antérieurement ou ont continué à exercer l'une des fonctions qui y sont mentionnées, au 23 septembre 1988 ou à une date ultérieure, y compris ceux qui ont été mis à la retraite ou qui sont démis de leurs fonctions, de telle sorte que les dispositions du secret bancaire ne leur sont pas applicables, et ce de manière permanente et non seulement pour un délai de cinq ans après la fin de leur mandat ».

4-     Le premier alinéa de l’article /7/ nouveau de l'article premier de la loi partiellement contestée, qui précise que: « Compte tenu des dispositions de l'article 2 de cette loi, les banques mentionnées à l'article premier ne peuvent invoquer les secret professionnel ou le secret bancaire prévus par cette loi, et doivent fournir toutes les informations requises dès réception d'une demande de : », cet alinéa n’inclut pas vers la fin l’expression : « Les autorités suivantes sans qu'il soit nécessaire de recourir à toute autre autorité judiciaire ou à caractère juridictionnel ou administratif », expression qui a été approuvée et votée par la Chambre des députés. Ce qui peut susciter une confusion et un manque de clarté sur la question de savoir si les autorités qui y sont énumérées ont le droit de demander des informations bancaires directement ou doivent passer par d’autres autorités, en l’occurrence la Commission spéciale d’investigation auprès de la Banque du Liban créée en vertu de la loi relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme n° 44 du 24/11/2015, et que sur la base du renvoi de l'alinéa (a) de l'article 7 susmentionné à l'article premier de la loi n° 44 susmentionnée concernant la compétence des autorités judiciaires, ainsi qu'à la lumière de la référence à l'alinéa (c) du même article à la loi n° 175 du 8/05/2020 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur public portant la création de la Commission  nationale de lutte contre la corruption, qui régit les compétences de la Commission susmentionnée, d'autant plus que l’alinéa (a) de l’article 19 de la loi n° 175 susmentionnée prévoit  que la Commission nationale de lutte contre la corruption passe par la Commission spéciale d’investigation afin de mener les investigations sur les comptes bancaires et de lever le secret bancaire à son profit. Le décret de renvoi du Président de la République n° 10016, suivant lequel la loi fut révisée, a d’ailleurs souligné la nécessité de lever cette ambiguïté. Cependant, le réexamen de la loi devant la Commission parlementaire des finances et du budget, à la lumière des motifs du renvoi, n'a pas abouti à remédier à cette déficience, ce qui a poussé la députée Paula Yakoubian, lors de la séance consacrée à l’examen et au vote de la loi par l'Assemblée générale de la Chambre des députés réunie le 18/10/2022, à proposer un amendement au premier alinéa de l'article /7/ nouveau, et ce à deux reprises, et qui consiste à ajouter la phrase suivante avant d'énumérer les autorités compétentes: « Les autorités suivantes sans qu'il soit nécessaire de passer par toute autre autorité judiciaire ou à caractère juridictionnel ou administratif ». Il apparait que la Chambre des députés ait approuvé et voté le l'article /7/ nouveau avec tous les amendements proposés par les députés. Cependant, la loi contestée fut promulguée et publiée sans la mention de la phrase objet de l’amendement dans le texte du premier alinéa du même article 7, ce qui constitue une méconnaissance des dispositions des articles 18 et 51 de la Constitution, et entraine son invalidation partielle en raison de l'absence de l’expression susmentionnée. De manière subsidiaire, cela nécessite de lever l'ambiguïté et la confusion du texte de l'article 7 en l'interprétant et en imposant son application au moyen de réserves interprétatives conformément à l’objectif et à l'intention du législateur qui ressortent clairement de débats des députés lors de la séance parlementaire consacrée au vote de cette loi, comme suit : « Les banques mentionnées à l'article 1er de la loi sur le secret bancaire du 3 septembre 1956 et ses amendements, ne peuvent invoquer le secret professionnel ou le secret bancaire prévus par cette loi, et doivent fournir toutes les informations requises immédiatement à la réception d'une demande de l'une des autorités mentionnées à l’article 7 nouveau, et ce directement sans qu'il soit nécessaire de passer par toute autre autorité judiciaire ou à caractère juridictionnel ou administratif ».

5-     Il convient de lever l'ambiguïté de l’alinéa (a) de l’article 7 nouveau de l'article 1er de la loi contestée, en interprétant cette clause et en imposant son application comme suit : « L’autorité judiciaire compétente visée à l’alinéa (a) précité comprend à la fois les juges du ministère public, de l'instruction et du jugement, sans exception, conformément aux règles de compétence et de répartition des pouvoirs prévues par les lois applicables, notamment le Code de la procédure pénale ».

6-     En ce qui concerne l’alinéa (f) et les deux derniers alinéas de l’article /7/ nouveau de l'article premier de la loi contestée, il ressort, par référence au procès-verbal de la séance parlementaire tenue le 18/10/2022, que deux propositions ont été soumises pour amender les alinéas objet du sixième motif, la première par le député Ali Hassan Khalil, qui a suggéré d'ajouter «... un délai de 15 jours» à la fin du paragraphe traitant de la suspension de l'exécution, et la seconde par la députée Paula Yakoubian comme suit : « Toutefois, ces requêtes sont susceptibles d’opposition devant le juge des référés par les personnes physiques et morales concernées. L'opposition, à son tour, est soumise aux règles de procédure suivies pour les ordonnances sur requête, telles que prévues aux articles /601/ et /602/ du Code de procédure civile, ainsi qu'aux règles de procédure sommaires prévues par la loi n° 154/2011, quelle que soit la valeur du litige. L’opposition suspend l’exécution jusqu’au prononcé d’un jugement de rejet de l’opposition par le juge des référés, à moins que le tribunal en décide autrement. Les jugements rendus suite à ces oppositions sont susceptibles d'appel dans un délai de 8 jours à compter de la date de leur prononcé, dans le cas où les justiciables ont été notifiés de cette date, sans qu'il soit nécessaire de leur en notifier une copie. La Cour d'appel est tenue de respecter les procédures sommaires prévues par la loi 154/2011».

Il ressort du procès-verbal de la séance parlementaire précitée que le Parlement a voté et approuvé l’article /7/ nouveau avec tous les amendements proposés par les députés, y compris les deux propositions précitées, sachant que les deux propositions d'amendement n'ont pas été votées séparément, ce qui est contraire aux règles de la procédure législative, c'est-à-dire celles suivies pour l’adoption des lois. En outre, la loi a été promulguée et publiée avec la formule proposée par le député Ali Hassan Khalil, à l’exclusion de la formule proposée par la députée Paula Yacoubian, bien que la Chambre des députés ait approuvé et voté les deux propositions ensemble, ce qui constitue une violation des articles 18 et 51 de la Constitution. De plus, le dernier alinéa de l’article /7/ nouveau est  vague et incompréhensible, notamment en ce qui concerne l’expression « sans ceux compris dans la requête générale », car l’appel régi par ce texte est un recours contre la décision du juge des référés portant dans tous les cas sur des informations bancaires générales et non spécifiques, c'est-à-dire sans déterminer un compte spécifique ou un client spécifique conformément à l'alinéa (f), et que le manque de clarté du texte de l’alinéa susmentionné a excédé une limite excessive qui en dilapide le sens. De même, rien ne justifie d’écarter dans cet alinéa l’application des procédures générales de l'exécution sommaire des décisions du juge des référés conformément à l'article 585 du Code de la procédure civile,  ce qui signifie que cet alinéa établit une distinction injustifiée entre le groupe soumis à ses dispositions et tous les autres justiciables devant le juge des référés, ce qui est contraire au principe d'égalité devant la loi prévu à l'article (7) de la Constitution et au paragraphe (C) de son Préambule, et nécessite l’annulation et la suppression du dernier alinéa de l'alinéa (f) et des deux derniers alinéas de l’article /7/ nouveau de l'article premier de la loi contestée.

7-     L’annulation de tout ce que le Conseil Constitutionnel estime contraire à la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle dans la loi contestée.

 

Sur la base de ce qui précède,

 

Premièrement - Dans la forme :

Considérant que la requête n°17/F fut soumise à la Présidence du Conseil constitutionnel le 16/11/2022, dans le délai de 15 jours à compter de la date de publication de la loi partiellement contestée au Journal Officiel en date du 11/3/2022, qu’elle est signée par treize députés et remplit toutes les autres conditions de forme, elle est donc recevable dans la forme.

 

Deuxièmement – Dans le fond :

1-     Premier motif : La violation partielle des alinéas (2) et (3) du paragraphe (B) de l’article 2 nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire (tel que modifié à l'article premier de la loi contestée), au principe d'égalité :

Considérant que l’article (2) nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire, tel que modifié par l'article 1er de la loi contestée, prévoit ce qui suit :

a-     Les dirigeants et employés des banques mentionnés à l'article premier, ainsi que toute personne ayant accès, en raison de sa qualité ou de sa position, de quelque manière que ce soit, aux registres des livres,  transactions et correspondance bancaires, sont tenus au secret au profit des clients de ces banques, et ne sont pas autorisés à divulguer à quiconque, qu'il soit un individu ou un organisme public administratif, militaire ou judiciaire, ce qu'ils savent sur les noms des clients, leurs avoirs ou  et les questions qui s'y rapportent, à moins qu'ils n’y soient autorisés par écrit par l'intéressé, ses héritiers ou légataires, ou si celui-ci est déclaré en faillite, ou si un procès survient lié à une opération bancaire entre les banques et leurs clients, ou conformément aux exceptions prévues dans le nouvel article sept de cette loi.

b-     Les dispositions relatives au secret bancaire ne s'appliquent pas aux :

1-     Fonctionnaire public : Toute personne tenue de présenter une la déclaration du patrimoine et autres intérêts prévue par la loi no 189/2020, et qui exerce une fonction publique, qu'elle soit nommée ou élue, permanente ou temporaire, rémunérée ou non, auprès de toute personne de droit public ou de droit privé, aux deux niveaux central ou décentralisé, et d'une manière générale, toute personne qui effectue un travail au profit d'un bien public, d'un équipement public, d'un service public, d'un établissement public, ou des deniers publics, qu'il soit détenu en totalité ou en partie par un personne de droit public, qu'elle l'exerce en droit ou en fait, y inclus les postes  constitutionnels ou toute fonction législative, judiciaire, exécutive, administrative, militaire, financière, sécuritaire ou consultative, les conjoints, les enfants mineurs, les prête-noms, les fiduciaires et /ou tuteurs, et/ou titulaires du droit économique.

2-     Les présidents d'associations et d'organismes administratifs exerçant une activité politique, les organisations de la société civile, leurs conjoints et enfants mineurs, les prête-noms, les fiduciaires et/ou tuteurs, et/ou titulaires de droits économiques, ainsi que les candidats à toutes élections parlementaires, municipales et ikhtiyariya, par des possessions successives ou par d’autres moyens de contrôle indirects, successifs ou non - conformément aux lois en vigueur.

3-     Les présidents et membres des conseils d’administration des banques et leurs directeurs exécutifs, les commissaires aux comptes actuels et anciens, ainsi que les présidents et membres des conseils d’administration des sociétés qui gèrent ou possèdent des médias visuels, audio, écrits et électroniques. »

Considérant que la loi partiellement contestée vise à modifier la loi sur le secret bancaire de 1956 et d'autres lois connexes, et que l’exposé des motifs a présenté la nécessité d'approuver cette loi comme suit : « La crise à laquelle est confronté le Liban, et qui a atteint son paroxysme au cours des deux dernières années, a constitué une incitation à la modification de la loi sur le secret bancaire, en tenant compte de la nécessité de la rendre compatible avec les lois accompagnant le plan de relance. De même, les négociations avec le Fonds monétaire international, afin de mettre le Liban sur la voie du redressement et du progrès, a également incité à modifier cette loi dans le cadre d'un ensemble de réformes nécessaires à la signature de l'accord avec le Fonds»,

Considérant que l'objectif du législateur, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs, vise à atteindre au moins trois buts, à savoir : le renforcement des procédures et moyens de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le renforcement des procédures et moyens de lutte contre la corruption, l'amélioration du consentement à l’impôt et la réduction de l'évasion fiscale,

Considérant que l'élargissement de l'éventail des personnes et entités exclues de l'application du secret bancaire à l'agent public dans sa conception globale telle que définie à l'alinéa (1) du paragraphe (B), aux associations exerçant des activités politiques, aux organisations de la société civile, et aux candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyaria, ainsi qu'aux présidents et membres des conseils d'administration des banques et à leurs dirigeants exécutifs, les commissaires aux comptes, présidents et membres des conseils d'administration actuels et anciens des sociétés qui gèrent ou possèdent des médias audiovisuels, écrits et électroniques, répond aux objectifs de la loi partiellement contestée, d'autant plus que celle-ci est conforme aux obligations de l'État libanais prévues à la Convention des Nations Unies contre la corruption, et qu'elle fait partie de l'ensemble des lois de réforme requises pour la mise en œuvre du plan de relance économique et financière, tel qu’il ressort explicitement de l’exposé des motifs,

Considérant que le principe de l'égalité entre les Libanais est un pilier fondamental du régime démocratique fondé sur le respect des libertés publiques, la justice sociale et l'égalité en droits et devoirs entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, tel que prévu à l'alinéa (C) du Préambule de la Constitution. En outre, l’article 7 de la Constitution prévoit que « tous les Libanais sont égaux devant la loi, jouissent également des droits civils et politiques et assument les obligations et devoirs publics sans aucune distinction entre eux »,

Considérant que l'égalité prévue dans la Constitution libanaise est l'égalité des Libanais en droits et devoirs, qui exige que toutes les personnes se trouvant dans des situations identiques soient soumises au même régime juridique et soient traitées de la même manière, sans privilège ni discrimination,

« L’égalité exige que toutes les personnes placées dans des situations identiques soient soumises au même régime juridique, soient traitées de la même façon, sans privilège et sans discrimination ».

Raymond Odent, Contentieux administratif, Dalloz, T. II., p. 353.

(citation en langue française dans l’arrêt)

Considérant que le principe d'égalité occupe une place unique parmi les droits fondamentaux, car il constitue un droit fondamental en soi et est en même temps une condition de l'exercice d'autres droits fondamentaux consacrés dans la Constitution et dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tels que l'égalité des Libanais dans la fonction publique, dans le droit de vote et de représentation politique, et l'égalité entre les administrés bénéficiant des services publics, l'égalité devant l’ impôt et les charges publiques, devant la justice, et autres encore, ce qui en fait un concept large qui inclut dans son champ d'application d'autres droits fondamentaux,

Considérant que le principe d'égalité, bien qu'il soit un droit fondamental, n'est ni absolu ni inconditionnel, car il appartient au législateur de distinguer dans le traitement des citoyens au cas où cette distinction découle de la Constitution ou s'ils se trouvent dans des situations juridiques différentes, ou si l'intérêt général l'exige, afin de préserver l'ordre public, à la condition que cette discrimination dans le traitement soit conforme à la finalité légitime de la loi, sachant que le Conseil constitutionnel se montre plus strict dans les cas de discrimination prohibées par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, et à laquelle se réfère le Préambule de la Constitution, Déclaration qui fait partie intégrante, avec ce préambule, de la Constitution et qui jouit à leur instar de la force constitutionnelle, et qui, dans son article 2 en particulier, interdit la discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou non politique, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou une quelconque autre situation,

Considérant que, sur la base de ce qui précède, il est nécessaire de savoir si les personnes appartenant à la catégorie des fonctionnaires et à la catégorie des dirigeants d'associations et d'organismes administratifs exerçant une activité politique, ainsi que les organisations de la société civile, d'une part, et ceux appartenant à la catégorie des fonctionnaires des banques ou des entreprises propriétaires des médias, d’autre part, tels que définis au paragraphe (b), se trouvent tous dans des situations juridiques similaires ou proches,

Considérant que, concernant la catégorie des agents publics, l’exercice d’une fonction publique a des répercussions et un impact sur les finances publiques, étant donné que le fonctionnaire public reçoit de l'argent du trésor public et traite directement avec les deniers publics. Quant aux associations qui s'engagent dans une activité politique et les organisations de la société civile, elles sont directement liées par la nature de leur activité à la chose publique, ce qui rend ces deux catégories plus susceptibles de rendre des comptes que les candidats aux élections parlementaires, municipales et ikhtiyariya, qui n'ont pas encore exercé de fonctions publiques, ainsi que les personnes visées à l'article (3), c'est-à-dire les responsables des banques et des médias, dont les salaires et les activités ne sont pas directement liés à l'argent public et aux affaires publiques,

Considérant que l'exclusion des catégories visées aux alinéas (2) et (3) du paragraphe (B) de l'application du secret bancaire ne constitue pas en soi une violation du principe d'égalité, d'autant plus que ces groupes ne se trouvent pas dans la même situation juridique. Dans tous les cas, le juge constitutionnel ne peut se substituer au législateur, de même qu’il ne lui est pas permis d'exercer son contrôle sur l'intérêt suprême qui sous-tend la législation, c'est-à-dire sur son opportunité, sauf en cas de violation des dispositions de la Constitution ou des principes à valeur constitutionnelle, qui n’est pas vérifié dans le cas d’espèce.

Par conséquent, il convient de rejeter la demande d’invalidation des alinéas (2) et (3) du paragraphe (B) susmentionné.

 

2-     Deuxième motif : De l'ambiguïté et du manque de clarté de l’alinéa (2) du paragraphe (B) de l'article 2 nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire, relativement à la non-application du secret bancaire aux candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyariya:

Considérant que, en ce qui concerne les candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyariya, la partie requérante allègue que leur inclusion à l'alinéa (2) du paragraphe (B) du nouvel article 2 de la loi du 3 septembre 1956, parmi les personnes affiliées aux dirigeants d'associations et organismes administratifs exerçant une activité politique et aux organisations de la société civile, c'est-à-dire dans la catégorie des conjoints, des enfants mineurs, des prête-noms et/ou des fiduciaires et/ou des tuteurs, et/ou ou titulaires de droits économiques, suggère que la catégorie des candidats peut être rattachée aux conjoints et autres personnes qui leur sont affiliées, d'autant plus que la phrase qui suit la mention des candidats aux élections prévoit ce qui suit : « Par des acquisitions successives ou des moyens successifs de contrôle indirects ou autres - conformément aux lois en vigueur», ce qui crée une ambiguïté et des interrogations sur le point de savoir si cet alinéa est limité aux seuls candidats affiliés à des associations et organismes administratifs qui exercent une activité politique, ou aux  organisations de la société civile, et ceux dont la candidature est soutenue par de telles associations et organisations, ou s'il englobe tous les candidats aux élections, indépendamment de la catégorie des dirigeants d'associations politiques et ceux qui leur sont assimilés,

Considérant que le Conseil considère que la formulation figurant au début de l'article (2) visant à inclure « les présidents d'associations et d'organismes administratifs exerçant une activité politique et les organisations de la société civile », telle qu'elle apparaît, est entourée d'ambiguïté en ce qui concerne la notion d’« organes administratifs » et la notion d’« organisations de la société civile » et requiert sa suppression car elle concerne « les présidents d’associations et les membres de leurs organes administratifs, les chefs et membres des organes administratifs des associations de la société civile,

Considérant que le Conseil ne voit aucune ambiguïté dans la formulation du texte, qui semble clair en ce qui concerne l'expression « candidats aux élections », qui constitue une catégorie distincte de la catégorie des dirigeants d'associations et des membres de leurs organes administratifs mentionnée ci-dessus, notamment que l'ajout du terme « tous » à la fin de son énumération - qui signifie «l’intégralité» des candidats aux élections législatives, municipales et ikhtiyariya, ce qui indique que la levée du secret bancaire doit s'appliquer à « tous » les candidats aux élections susvisées, sans discrimination, qu'ils soient affiliés à ou soutenus par des associations qui s'engagent dans une activité politique, ou qu'ils ne le soient pas, et ce en conformité avec le principe d'égalité entre les Libanais devant la loi, en droits et en devoirs, tel que prévu à l’article 7 de la Constitution, ainsi qu’au paragraphe (C) de son Préambule.

Il convient donc de rejeter ce motif.

 

3-     Troisième motif : De l'ambiguïté et manque de clarté du dernier alinéa de l’article 2 nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire (tel que modifié à l'article 2 de la loi partiellement contestée) :

Considérant que le dernier alinéa de l’article 2 nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire (partiellement modifié par l'article 1 de la loi contestée), précise ce qui suit :

« Les effets du paragraphe (B) restent applicables aux personnes qui y sont mentionnées même après la date de leur démission, de leur cessation de service ou de leur mise à la retraite, pour toute la période pendant laquelle ils assumaient leurs fonctions susmentionnées, et pour une période supplémentaire de cinq ans à compter de cette date. Il s'applique également à toute personne ayant antérieurement assumé l'une des responsabilités qui y sont énumérées, au 23 septembre 1988 jusqu'à ce jour, y compris celles qui ont été mises à la retraite ou mises hors service, conformément aux dispositions de la loi n° 44 du 24 novembre 2015 et ses modifications (loi relative à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme), et la loi n° 189 du 16 octobre 2020 (loi relative à la déclaration du patrimoine et autres intérêts et la répression de l’enrichissement illicite) et la loi n° 175 du 8 mai 2020 (Lutte contre la corruption dans le secteur public et création de la Commission nationale de lutte contre la corruption) »,

Considérant que la partie requérante allègue que l'expression « a antérieurement assumé les responsabilités qui y sont énoncées au 23 septembre 1988 jusqu'à ce jour », n’indique pas si elle inclut les personnes qui ont assumé leurs fonctions avant le 23 septembre et ont continué à les exercer après cette date ou si elle est limitée uniquement aux personnes qui ont pris leurs fonctions à compter de cette date ou après cette date, à l'exclusion des personnes qui ont pris leurs fonctions avant le 23 septembre 1988. De plus, l'expression « jusqu'à ce jour » peut être interprétée comme signifiant la nécessité de continuer sans interruption à exercer la fonction à partir de cette date jusqu'à ce jour, ce qui contredit l’expression « antérieurement » mentionnée dans le texte, ainsi que l'expression « y compris ceux qui ont été mis à la retraite ou hors du service » contenue dans le même paragraphe,

Considérant que l'expression « ayant antérieurement assumé les responsabilités qui y sont mentionnées au 23 septembre 1988 » constitue une exception à la règle de prescription décennale adoptée en droit libanais, qui est considérée comme une garantie judiciaire pour les personnes, ce qui nécessite son interprétation de manière restrictive afin qu'elle n’inclue pas ceux qui ont assumé cette responsabilité avant la date susmentionnée. En outre, l'expression « à ce jour » ne peut  désigner une personne qui a exercé sans interruption ses fonctions depuis le 23 septembre 1988 ou à une date ultérieure jusqu' aujourd'hui , mais plutôt quelqu'un qui a assumé ses fonctions à partir de cette date ou à toute date ultérieure durant la période qui s'étend jusqu'à ce jour, sans la nécessité de poursuivre l’exercice des fonctions jusqu'à cette date, car dans le cas contraire cela contredirait clairement l’expression «antérieurement » et « y compris ceux qui ont été mis à la retraite ou sont devenus hors service», et qui indique clairement qu'il n'y a aucune exigence de continuité jusqu'à ce jour,

Considérant que, en ce qui concerne le délai de cinq ans, même s'il n'est pas explicitement précisé si ce délai s'applique ou non à la catégorie des personnes ayant assumé précédemment une fonction publique à partir du 23 septembre 1988, la manière de rédiger les deux paragraphes et de les séparer avec un point « . », puis l’usage de l'expression « de même il s’applique », ne laissent aucune place au doute ou à l'ambiguïté sur l’application à la catégorie de « ceux qui ont assumé des responsabilités à compter du 23 septembre » d’un régime différent de celui applicable à la catégorie concernée par le délai  quinquennal, et qui implique de ne pas appliquer le secret bancaire à cette catégorie, et ce de manière permanente et non seulement pendant une période de cinq ans après la fin de leurs fonctions, comme c'est le cas pour la catégorie visée au premier alinéa, c'est-à-dire ceux qui exercent encore leurs fonctions à la date de la promulgation de la présente loi,

Considérant que le texte est jugé clair sur le fait que quiconque a exercé une fonction ou qu'il ait interrompu ses fonctions pour quelque raison que ce soit, reste soumis à la non-application du secret bancaire de manière permanente, tandis que les personnes qui sont toujours en fonction à la date de la promulgation de la loi contestée, ne sont pas soumises aux dispositions du secret bancaire pendant toute la durée de l’exercice de leurs de fonctions et pendant une durée de cinq ans après la fin de leurs fonctions,

Considérant que la confusion et l'ambiguïté alléguées par la partie requérante n’ont pas atteint un seuil excessif qui altèrerait le sens du texte et nécessiterait son invalidation, il convient donc de rejeter ce motif.

 

4-     Quatrième motif : De la méconnaissance partielle de l’article 7 nouveau de la loi du 3 septembre 1956 relative au secret bancaire (modifié par l'article 1 de la loi), des articles 18 et 51 de la Constitution, pour l’omission d’un texte approuvé par la Chambre des députés, outre son ambiguïté et son manque de clarté :

Considérant que l’article 7 nouveau de la loi relative au secret bancaire du 3 septembre 1956, tel que modifié par l'article 1er de la loi partiellement contestée, prévoit ce qui suit :

« Compte tenu des dispositions de l'article deux de la présente loi, les banques mentionnées à l'article premier ne peuvent invoquer le secret professionnel ni le secret bancaire prévus par la présente loi et doivent fournir toutes les informations requises dès réception d'une demande émanant de:

a-     L’autorité judiciaire compétente dans les affaires relatives aux délits de corruption et délits portant sur les biens conformément aux dispositions du Code pénal, aux délits prévus à l'article 19 du Code de procédure pénale et aux délits visés à l'article 1er de la loi n° 44 du 11/24/2015 et ses modifications (Lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme), et les poursuites pour cause d’enrichissement illicite intentées sur base de la loi n° 189 du 16 octobre 2020 (loi relative à la déclaration du patrimoine et autres intérêts et la répression de l’enrichissement illicite).

b-     La Commission spéciale d’investigation en vertu de la loi relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme susmentionnée.

c-     La Commission nationale de lutte contre la corruption, sur base de la loi n° 175 du 8 mai 2020 (loi de lutte contre la corruption dans le secteur public et portant création de la Commission nationale de lutte contre la corruption), notamment son article quatre, et l'article treize de la Loi n° 189 du 16/10/2020 (loi relative à la déclaration du patrimoine et autres intérêts et la répression de l’enrichissement illicite).

d-     L’administration fiscale dans le but de lutte contre l'évasion fiscale, du consentement à l’impôt et du contrôle fiscal, conformément aux dispositions de la loi n° 44 du 11 novembre 2008 et ses modifications (Loi sur les procédures fiscales).

e-     La Banque du Liban, créée en vertu de la loi d'application par le décret n° 13513 du 1/8/1963 et ses modifications (Code de la monnaie et de crédit), et la Commission de contrôle des banques et de l'Institut national de garantie des dépôts, créées en vertu de la loi n° 28/67 du 5/9/1967 et ses modifications (modifiant et complétant la législation relative aux banques et la création de l’Institut mixte de garantie des dépôts bancaires), dans le but de restructurer le secteur bancaire et d'exercer son contrôle sur celui-ci. Les autorités susmentionnées peuvent échanger des informations entre elles à cette fin.

f-      Dans le but de restructurer le secteur bancaire et d'effectuer le contrôle sur celui-ci, les entités visées à l'alinéa (e) ci-dessus peuvent requérir des informations protégées par le secret bancaire sans préciser un compte ou un client spécifique, y compris en émettant une demande générale d'informations sur tous les comptes et clients sans mention de leurs noms. Toutefois, ces demandes restent sujettes à opposition devant le juge des référés par les personnes physiques et morales concernées, et l'opposition est à son tour soumise aux procédures suivies en matière d'ordonnances sur requête.

g-     - Les critères et normes d’application des paragraphes (e) et (f) susmentionnés seront déterminés par des décrets pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre des Finances. L'opposition suspend l'exécution de la demande jusqu'à ce qu'elle soit statuée, à moins que le juge saisi de la demande n'en décide autrement, et ce dans un délai de quinze jours.

En cas d'appel de la décision du juge des référés, l'exécution de la demande sera suspendue concernant la partie lésée, à l'exclusion de autres personnes mentionnées dans la demande générale ».

 

Considérant que, à ce titre, la partie requérante allègue que le libellé de l’article 7 nouveau de la loi sur le secret bancaire, tel que modifié par l'article 1er de la loi contestée, comporte une confusion et un manque de clarté quant à savoir si les autorités qui y sont mentionnées ont le droit de demander des informations bancaires directement ou si elles doivent passer par d’autres autorités, notamment la Commission spéciale d’investigation auprès de la Banque du Liban créée en vertu de la loi relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme n° 44 du 24/11/2015, sur la base du renvoi de l'alinéa (a) de l'article 7 susmentionné à l'article 1 de la loi n° 44 susmentionnée concernant la compétence des autorités judiciaires, et à la lumière du renvoi à l'alinéa (c) du même article à la Loi de lutte contre la corruption dans le secteur public portant création de la Commission nationale de lutte contre la corruption n° 175 du 8/05/2020, concernant les compétence de ladite Commission, d'autant plus que la clause (a) de l'article 19 de la loi n° 175 susmentionné exige que la Commission nationale de lutte contre la corruption passe par la Commission spéciale d’investigation en vue d’enquêter sur les comptes bancaires et de lever le secret bancaire à son profit,

Considérant que le décret de renvoi n° 10016 émanant du Président de la République en date du 21 août 2022, en vertu duquel la loi a été réexaminée puis adoptée à nouveau à la Chambre des députés, a indiqué que « la formulation de certains textes de la loi contestée nécessite des précisions supplémentaires en vue d’assurer sa mise en œuvre de manière saine et directe, et qu’il convient de rajouter à la fin de l’article 7 nouveau que les autorités susmentionnées soumettent leur demande directement aux banques sans besoin de passage par une quelconque autorité judiciaire ou administrative ». Cependant, le réexamen de la loi par la Commission des finances et du budget à la lumière des motifs du renvoi, n'a pas abouti à dissiper cette confusion,

Considérant que la partie requérante allègue qu'il ressort du procès-verbal des débats autour de la loi contestée lors de la séance de l'Assemblée générale de la Chambre des députés tenue le 18/10/2022, que la députée Paula Yacoubian, lors de l'examen et de l'adoption de la loi, a soumis une proposition d'amendement au premier alinéa de l’article 7 nouveau, et ce à deux reprises, en proposant l’ajout de la phrase suivante : « Les autorités suivantes sans qu'il soit nécessaire de recourir à toute autre autorité judiciaire, à caractère juridictionnel ou administratif » avant l’énumération de ces autorités, et que la Chambre des députés a approuvé l’article 7 nouveau et l’a voté avec tous les amendements proposés par les députés. Néanmoins, la loi contestée fut promulguée et publiée sans la présence ni la mention de la phrase faisant l'objet de cet amendement dans le texte du premier alinéa du même article 7,

Considérant que, en référence au procès-verbal des débats parlementaires relatifs à la loi devant l'Assemblée générale de la Chambre des députés, en particulier à la page 20 de celui-ci, où est mentionnée la proposition de la députée Mme Paulette Yacoubian, il apparaît clairement que le député Ali Hassan Khalil a commenté comme suit: « Concernant ce qu'a dit la collègue Paulette, l’expression « immédiatement après l'avoir reçu » est indubitablement et directement contraignante, et il n’existe aucune barrière pour sa mise en œuvre. » Ensuite, les discussions se sont déplacées vers d'autres points sans que l'article soit voté avec l’amendement susmentionné, contrairement à ce qui est indiqué dans la requête,

Considérant qu'il ressort également de la page 27 du procès-verbal précité que la députée Yacoubian a réitéré sa proposition sans que celle-ci soit votée ou adoptée, contrairement à d’autres demandes ou propositions, et qu'il n'y a donc pas lieu à la violation de la procédure législative,

Considérant que, dans tous les cas, et sur la base de l’amendement proposé par la députée Paula Yacoubian et des discussions qui ont eu lieu concernant l’article 7 nouveau lors de la séance des débats et  l'adoption de la loi contestée, et spécifiquement celle du texte de l'article 7, qui prévoyait que « les banques doivent fournir immédiatement toutes les informations requises dès réception d’une demande de : »,  puis l’énumération des autorités desquelles les banques reçoivent une demande de fourniture d'informations, y compris la Commission spéciale d’investigation, dans des alinéas distincts dont chacun est attribué à une autorité différente, sans référence à aucune autorité intermédiaire, tout ceci confirme sans ambiguïté qu’il revient à chacune de ces autorités  de soumettre une demande de fourniture d’information directement auprès des banques sans passer par une quelconque autre autorité, y compris la Commission spéciale d’investigation,

Par conséquent, les allégations de la partie requérante ne sont pas avérées et doivent être rejetées.

 

5-     Cinquième motif : De l'ambiguïté et du manque de clarté de l’alinéa (a) de l’article 7 nouveau de la loi sur le secret bancaire (modifié par l'article 1 de la loi attaquée) :

Considérant que l’alinéa (a) de l’article 7 nouveau de la loi sur le secret bancaire (modifié par l'article 1 de la loi contestée) a conféré aux « juridictions compétentes dans les affaires relatives » à un certain nombre d'infractions le droit de demander des informations aux banques,

Considérant que la partie requérante estime que cet alinéa présente une certaine ambiguïté concernant l'expression « les juridictions compétentes », qui doit être interprétée comme incluant toutes les juridictions de poursuite, d'instruction et de jugement sans exception, conformément aux règles de compétence et de répartition des compétences prévues dans les lois en vigueur, notamment le Code de procédure pénale,

Considérant qu’il ressort du décret de renvoi n° 10016 susmentionné, que l'un des motifs du renvoi tourne autour de cette question spécifique, indiquant que le procès pénal commence par l’action publique, ce qui nécessite de permettre au ministère public d'accéder aux informations qui lui permettent de constituer le dossier avant de le transmettre au juge d’instruction, de sorte que le pouvoir de demander aux banques des informations soit donné au « pouvoir judiciaire compétent en matière de poursuites et d’instruction »,

Considérant qu'il ressort clairement du procès-verbal des débats de l'Assemblée générale de la Chambre des députés que l'expression « actions relatives à l’instruction » qui figurait dans la première version de la loi a été abandonnée avant la réception de la demande de renvoi, et a été remplacée par l'expression « juridiction compétente dans les affaires relatives » dans la loi révisée et partiellement contestée, ce qui indique que la juridiction compétente est à la fois la judication de poursuite, d'instruction et de jugement, conformément au principe d'unité du pouvoir judiciaire préalablement consacré par le Conseil constitutionnel (voir la décision  du Conseil constitutionnel n° 4/2001 du 29/09/2001).

Par conséquent, et en raison de la clarté du texte, il convient de rejeter le motif de la requérante.

 

6-     Sixième motif : la violation du dernier paragraphe de l'alinéa (f) et les deux derniers alinéas de l’article /7/ nouveau de la loi sur le secret bancaire (modifié par l'article 1 de la loi contestée) des procédures de la législation et des articles 18 et 51 de la Constitution, outre la confusion et le manque de clarté du texte et la violation du principe d'égalité :

Considérant que, sous ce motif, la partie requérante indique qu'il ressort du procès-verbal de la Chambre des députés de la séance tenue le 18/10/2022, durant laquelle la loi partiellement contestée fut adoptée, que chacun des deux députés, Ali Hassan Khalil et Paulette Yacoubian, a proposé un amendement différent qui portait sur le texte du dernier paragraphe de l’alinéa (f) et des deux derniers paragraphes de l’article /7/ nouveau de la loi sur le secret bancaire (modifié par l'article premier de la loi contestée) , et que le Parlement a voté et approuvé l’article /7/ nouveau avec tous les amendements proposés par les députés, y compris les propositions des députés Khalil et Yacoubian, et que ce vote méconnait les procédures de législation suivies pour adopter les lois, et qui nécessitent a priori de voter séparément chacun des deux amendements. De  plus, la loi contestée fut promulguée et publiée dans la forme proposée par le député Ali Hassan en excluant l’amendement proposé par la députée Paulette Yacoubian, bien que la Chambre des députés ait approuvé les deux propositions ensemble, ce qui est contraire aux dispositions des articles 18 et 51 de la Constitution, et qu'outre ce qui précède, le dernier alinéa de l’article /7/ nouveau, qui prévoit qu’ « en cas d'appel contre la décision du juge des référés, l'exécution de la demande sera suspendue concernant la partie lésée à l’exclusion des personnes mentionnées dans la demande générale », est vague et incompréhensible de manière à en altérer le sens, car l'appel est lié à une demande d'informations bancaires générales et non privées, c'est-à-dire sans préciser un compte spécifique ou un client spécifique conformément à l’alinéa (f), et rien ne justifie que ce paragraphe s'écarte des règles générales qui régissent l'exécution sommaire en référé, ce qui signifie que ce paragraphe a établi une distinction injustifiée entre la catégorie soumise à ses dispositions et tous les autres justiciables devant le juge des référés, ce qui est contraire au principe d'égalité devant la loi prévu à l'article 7 nouveau de la Constitution et au paragraphe (c) de son préambule, et en raison de toutes les violations susmentionnées, nécessite l’annulation et la suppression du dernier paragraphe de la clause (f) et des deux derniers alinéas de l’article 7 nouveau contesté,

Considérant qu'en se référant au procès-verbal de la séance de la Chambre des députés susmentionné, il ressort clairement qu'un certain nombre de députés présents ont exprimé leurs commentaires sur l'article 7, et que d'autres ont proposé des amendements à son texte, notamment les députés Ali Hassan Khalil et Paulette Yacoubian, et que le Président de la Chambre à chaque fois qu'il jugeait la proposition d'amendement appropriée ou productive, décidait notoirement, en présence des membres de l'Assemblée Générale, d'introduire la proposition d'amendement au texte de l'article 7, comme il ressort des  pages 19, 23, 27 et 28 du procès-verbal, après quoi l'article susmentionné était soumis au vote avec les amendements approuvés. Hormis cela, il écoutait le reste des propositions présentées par les autres députés sans aucun commentaire ni observation, puis il donnait la parole à un autre député qui désirait intervenir,

Considérant que la simple proposition par l'un des députés d'un amendement au texte durant les débats parlementaires sans que cet amendement soit soumis au vote de l'Assemblée générale de manière notoire par le Président de la Chambre conformément aux articles 64 et suivants du règlement intérieur de la Chambre des députés, n'est en aucun cas considéré comme une approbation de l'amendement proposé par cette assemblée,

Considérant qu'en revenant à la page 23 du procès-verbal de la séance évoquée, il apparaît clairement que le député Ali Hassan Khalil a proposé d'ajouter la phrase «...un délai de quinze jours» au texte du paragraphe (f) relatif à l'opposition à l'exécution de la demande de levée du secret bancaire qui suspend l’exécution sauf décision contraire du juge des référés, de sorte que le délai ne reste pas ouvert devant le juge. Cependant, il n’apparait pas que le président de la Chambre a répondu à cette proposition devant l'Assemblée générale suivant la procédure suivie, alors que cet amendement figure au texte de l’alinéa (g) de l'article /7/ tel que modifié, ce qui est contraire au principe de la clarté des débats auprès de l'Assemblée générale concernant l’adoption de cet amendement spécifique, et une violation du principe de la souveraineté populaire consacré aux paragraphes (c) et (d) de la Constitution,

Considérant d’autre part qu'il apparaît que la députée Paulette Yacoubian a proposé à son tour un amendement au paragraphe relatif à la procédure d'opposition à la demande de levée du secret bancaire prévue à l'article 7, objet de l'amendement, et que le Président de la Chambre n'a pas répondu à sa proposition, mais a donné directement la parole à un autre député, de sorte que sa proposition n'a pas été votée par l'Assemblée générale, de même que l'Assemblée générale n'a pas voté la proposition d'amendement soumise par le député Ali Hassan Khalil pour les mêmes raisons,

Considérant qu'au vu de ce qui précède, il y a lieu de supprimer la phrase « dans un délai de quinze jours » contenue à l'alinéa (g) de l’article /7/ nouveau de la loi sur le secret bancaire (modifié par l'article 1er de la loi contestée), car elle viole le principe de la clarté des débats parlementaires, principe a valeur constitutionnelle pour être lié au principe de la souveraineté populaire énoncé aux alinéas (C) et (D) du Préambule de la Constitution,

Considérant que, d’autre part, les allégations de  la requérante concernant le manque de clarté me sont pas pertinentes, car même si les informations concernent des comptes bancaires généraux, c'est-à-dire sans précision d’un client ou compte spécifique, il ne fait cependant aucun doute qu’elles concernent en fin de compte des comptes clients, et que le texte a donné le droit d'opposition au client qui prend connaissance de la demande d'information, que ce soit par notification ou par un autre moyen, et dans ce dernier cas l'exécution de la demande est suspendue en ce qui concerne le compte du client opposant uniquement, à l’exclusion de tout autre,

Considérant que, concernant la violation du principe d'égalité, il appartient au législateur d’édicter une législation spéciale qui régisse une catégorie de personnes qui se trouvent dans une même situation juridique, si l'intérêt général l'exige, et par conséquent, octroyer le droit d’opposition suivant une procédure spéciale à une catégorie de déposants dont les comptes font l’objet d’une demande d'information ne constitue pas une violation du principe d’égalité,

Par conséquent, il y a donc lieu de rejeter la demande d'annulation et de suppression du dernier paragraphe de l'alinéa (f) et les deux derniers alinéas de l’article /7/ nouveau, à l'exception de la phrase « dans les quinze jours » mentionnée au deuxième paragraphe de l’alinéa (g) de l’article /7/ nouveau susmentionné, car ces textes ne méconnaissent le principe de l'égalité des justiciables devant la loi énoncé à l'article /7/ de la Constitution et au paragraphe (C) de son introduction.

 

Pour ces motifs,

 

Décide:

Premièrement - Dans la forme :

La recevabilité de la requête pour être soumise dans le délai légal et pour le respect de toutes les conditions de forme.

Deuxièmement – Dans le fond :

Le rejet du recours, avec nécessité de supprimer l’expression « dans les quinze jours » car elle viole les principes à valeur constitutionnelle.

Troisièmement – La notification de la décision à la Présidence de la Chambre des députés, le ministère de l'Intérieur et des Municipalités et les parties concernées.

Quatrièmement – La publication de la décision au Journal officiel.

 

Décision rendue le 22/12/2022.

 

Les membres : Mireille Najm, Elias Mecherkani, Fawzat Farhat, Michel Tarazi, Riad Abu Ghida, Albert Sarhan, et Akram Baasiri

Le Secrétaire général: Aouni Ramadan

Le Vice-président : Omar Hamze

Le Président : Tannous Mechhleb