Décision No.17/2000



Décision No. 17/2000

Date: 08/12/2000

 

Recours No. : 17/2000

Le Requérant : Michael Debs, candidat battu au siège grec orthodoxe de Zahlé, deuxième circonscription électorale de la Békaa, au cours des élections législatives de l’année 2000.

Le Défendeur : Youssef Kayssar Maalouf, le député élu pour le siège susmentionné.

Objet : Recours en invalidation de la députation du Défendeur.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,

Il appert que le Requérant, M. Michael Debs, candidat battu au siège grec orthodoxe de Zahlé, deuxième circonscription de la Békaa, au cours des élections législatives de 2000, a présenté, par le biais de son mandataire, un recours auprès de la présidence du Conseil Constitutionnel en date du 30/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 17/2000 et visant à contester la validité de l’élection du député Youssef Kayssar Maalouf, qui a été proclamé élu pour le siège susmentionné. Le Requérant a invoqué les motifs suivants :

Les élections législatives ont eu lieu conformément à une loi électorale non constitutionnelle et dont la totalité des responsables ont reconnu l’illégalité. Les élections qui ont eu lieu le 03/09/2000 dans la deuxième circonscription électorale de la Békaa (Zahlé) ont été entachées de nombreuses irrégularités dont le recours à la violence, les pots-de-vin, les crimes et les pressions exercées sur les électeurs par certaines parties influentes. Les irrégularités susmentionnées sont les suivantes :

1- Les actes de terrorisme dans la ville de Zahlé, exercés par la machine électorale du Défendeur, en ce sens que ses partisans ont commis des actes d’agression, de menace et de meurtre en vue de terroriser les gens et de porter atteinte à leur volonté.

2- La tentative de meurtre du neveu du Requérant, Michael Debs.

3- La convocation de certains candidats par certaines autorités influentes en vue d’empêcher l’opposant d’adhérer à l’un des blocs parlementaires influents. Quant aux personnes qui ont refusé d’obéir aux demandes desdites autorités, elles ont été rayées de la liste, comme il en a été le cas dans la localité de Anjar, avec les citoyens d’origine arménienne et dans les localités de Majdel Anjar, Mreijet, Maksé et autres.

4- L’achat de voix et les pots-de-vin qui ont été effectués publiquement au su et vu des membres des forces de la sécurité et du député élu dont l’élection est contestée.

5- Il appert de l’analyse des voix obtenues par le Requérant, en comparaison avec celles obtenues par la liste à laquelle il appartient (à savoir le bloc populaire), que les pressions, les menaces, et l’achat des voix visaient à rayer le nom du Requérant uniquement, et ne visaient aucunement les autres membres de la liste à laquelle il appartenait.

 

Le Requérant a également ajouté que le Conseil Constitutionnel est compétent pour contrôler la validité et la démocratie des élections, dans le cas où lesdites élections sont basées sur une loi non constitutionnelle, ce qui est consacré par les jurisprudences américaines et françaises. Or, les élections ont été entachées de menaces, contraintes et de terrorisme à commencer par la méthode de constitution des listes électorales qui s’est faite conformément au désir et à la volonté des personnes influentes dans la région. En effet, le député Elias Skaff, président de la liste du bloc populaire a été sujet à des pressions visant à le pousser à écarter le Requérant de sa liste et lorsque ce dernier ne s’est pas conformé à ladite volonté, il a été menacé et sa récolte a été brûlée. Toutes les pressions susmentionnées sont illégales, dangereuses, nombreuses et organisées et imposent l’annulation de la députation du Défendeur et la réorganisation d’élections pour le siège orthodoxe dans la circonscription susmentionnée.

Il appert que le Défendeur, Youssef Kayssar Maalouf, le député proclamé élu a présenté, en date du 18/10/2000 ses conclusions responsives visant à répondre au recours intenté contre lui. Le Défendeur a allégué ce qui suit :

1- La constitutionnalité de loi électorale No. 171/2000 n’a pas été contestée et est par conséquent devenue une loi écran. Il est ainsi impossible d’adopter tout motif allégué à cet égard.

2- Tous les faits allégués et relatifs au terrorisme, à l’achat de voix, aux pots-de-vin, à la suppression de la liste et à « l’intervention de fantômes » sont invalides étant donné qu’ils n’ont pas été prouvés et sont erronés pour les motifs suivants :

a- L’opposant n’a nommé aucun dispositif de sécurité interne ou externe ayant intervenu contre son intérêt et n’a pas démontré la nature de cette intervention, ni la méthode ou les moyens adoptés à cet égard.

b- Aucun coup de feu n’a été tiré au cours de la nuit, dans n’importe quel centre ou endroit et les électeurs n’ont été sujets à aucun acte de terrorisme lors de l’accomplissement de leur devoir électoral. L’allégation relative aux événements sanglants qui ont été provoqués à Zahlé ainsi que dans d’autres localités est erronée, sachant que, dans tous les cas, le Défendeur n’est aucunement responsable de la sécurité dans la Békaa et que la survenue d’un incident particulier, à supposer que ceci ait effectivement eu lieu, ne peut porter atteinte au scrutin.

c- L’allégation qu’une dispute eu lieu entre deux personnes, la première étant un partisan du Défendeur et la deuxième étant un partisan du Requérant ne pourrait porter atteinte au scrutin étant donné que cet incident unique n’a aucune incidence sur le résultat de l’élection et que le Défendeur n’y est aucunement lié.

d- L’allégation relative à la tentative de meurtre du neveu du Requérant, M. Michael Debs, est invalide et le Défendeur et ses partisans n’y sont aucunement liés, à supposer que ladite allégation est valide. Dans tous les cas, ladite accusation est dénuée de tout sérieux, ce qui est prouvé par l’absence de toute action pénale intentée contre tout individu.

e- L’allégation que le Défendeur a procédé à l’achat de voix en sa faveur est totalement fausse et toutes les dépositions produites en annexe au recours sont fausses et non sérieuses, étant donné que deux des personnes signataires desdites dépositions ont nié l’achat de voix qui leur a été attribué et que le reste des dépositions sont des dépositions de complaisance émises par les partisans du Requérant et sont par conséquent dénuées de toute valeur.

 

Il appert des procès-verbaux de l’enquête et des attestations du Parquet que les personnes interrogées ne se sont livrées à aucune opération d’achat de voix, surtout que le Parquet a décidé de leur restituer les montants et les téléphones cellulaires confisqués. Par ailleurs, les dépositions émises par le greffe du Parquet en ce qui concerne certaines demandes ne sont aucunement liés au présent recours.

f- En ce qui concerne la suppression du nom du Requérant dans certaines localités de la Békaa, ce phénomène représente une simple manifestation de la volonté des électeurs qui ont choisi les noms de certains candidats sans se conformer aux listes adoptées. Les membres de la sécurité ainsi que les factions politiques ne sont en aucun cas liés audit choix.

Le Défendeur a déclaré qu’il convient de rejeter le recours vu l’invalidité des motifs allégués et qu’il n’était pas nécessaire de mener une enquête à cet égard vu l’écart considérable entre les voix obtenues par le Requérant (20 616) d’une part et le Défendeur (26 493) d’autre part qui s’élève à 5 877 voix. Par conséquent, le Défendeur demande de rejeter le recours pour invalidité et absence de sérieux des motifs allégués.

Il appert que les membres rapporteurs ont procédé à une enquête minutieuse pour établir la véracité des faits allégués dans le recours et ont rendu un jugement avant dire droit ordonnant d’entendre le Requérant et le Défendeur, ainsi que certains députés appartenant à la même liste électorale que le Requérant, à savoir, les députés Elias Skaff, Mohsen Dalloul et Georges Kassargi. Leur jugement a été exécuté en date du 16/11/2000.

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : En la forme :

Considérant que les élections dans les circonscriptions de la Békaa ont lieu le 03//09/2000, que les résultats officiels ont été proclamés en date du 04/09/2000 et que le présent recours a été intenté auprès du Conseil Constitutionnel le 30/09/2000, soit dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et à l’article 46 de la loi No. 243/2000,

Considérant que le Requérant a produit en annexe à son recours une procuration certifiée par-devant notaire, autorisant son représentant, de manière expresse, à présenter le recours auprès du Conseil Constitutionnel,

Le présent recours remplit toutes les conditions de forme et est par conséquent recevable en la forme.

Deuxièmement : Au fond

a- Concernant le motif basé sur ce que le Requérant qualifie d’illégalité de la loi électorale No. 171/2000 :

Considérant que le Requérant allègue que la loi électorale susmentionnée est contraire à la Constitution, à la démocratie ainsi qu’aux principes juridiques généraux.

Considérant que le Conseil Constitutionnel, en tant que juge électoral, n’est pas compétent pour contrôler la constitutionnalité de la loi électorale étant donné que cette dernière qui a régi les élections est devenue une loi écran. Par ailleurs, le recours concernant l’inconstitutionnalité des lois est sujet à des procédures bien définies et prévues à l’article 18 et suivants de la loi No. 250/93, amendée en vertu de la loi No. 150/99, ainsi qu’à l’article 30 et suivants de la loi No. 243/2000. Lesdites procédures diffèrent de celles adoptées dans les recours et litiges relatifs aux élections législatives et ne peuvent être interprétées comme prévoyant la possibilité d’avoir recours à un contrôle indirect à cet égard, sachant que l’article 21 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel prévoit de considérer tout texte législatif recevable même dans le cas où le Conseil Constitutionnel n’a pas rendu de décision à l’égard de sa constitutionnalité dans le délai prévu à l’alinéa 1 dudit article.

b- Concernant le motif basé sur les pressions, l’intervention des différents dispositifs, le terrorisme, l’achat de voix, le panachage et autres actes qui ont vicié le processus électoral :

Considérant que le recours est basé sur le fait que les élections dans la deuxième circonscription de la Békaa (Zahlé) ont été entachées de plusieurs actes de terrorisme, de menace, de violence, de pots-de-vin et l’intervention de certains dispositifs en vue d’influencer sur la volonté des électeurs, ce qui a entraîné la suppression du nom du Requérant de la liste électorale à la quelle il appartient, suite à des pressions occultes exercées par ceux que le Requérant a qualifié de fantômes.

Considérant qu’il appert dépositions des différents témoins qui ont été entendus et qui appartiennent à la même liste électorale que le Requérant, que les allégations du Requérant quant à l’intervention des dispositifs, l’importance et l’impact de ladite ingérence n’ont pas été prouvées. Il appert également que la suppression du nom du Requérant au cours du processus électoral résulte d’une décision interne prise par les partis politiques et les forces électorales locales. De plus, les électeurs ne sont pas tenus de voter pour tous les candidats d’une même liste et ont des positions propres à eux en ce qui concerne chaque candidat, selon ses activités, sa présence et les services sociaux qu’il offre. Par ailleurs, si certaines interventions ont eu lieu lors de la constitution des listes électorales et si un candidat a été inclus dans une liste ou dans une autre, il reste cependant que, le jour du scrutin, les électeurs ont émis leur suffrage en toute liberté, sans qu’aucun d’entre eux ne subisse aucune pression.

Considérant que les allégations du Requérant en ce qui concerne les menaces de mort et les pots-de-vin qui ont accompagné le scrutin électoral et que le Requérant a prouvés par certaines dépositions écrites ne sont pas fiables, étant donné que, à supposer qu’elles aient réellement eu lieu, il ne s’agit que d’incidents particuliers dont l’incidence sur le résultat de l’élection n’a pas été prouvée ou du moins, que la relation causale directe entre lesdits événements et le résultat de l’élection n’a pas été établie de manière certaine, surtout vu l’écart considérable entre les voix obtenues par chacune des parties et qui s’élève à 5 877 voix en faveur du Défendeur.

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme

De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.

Deuxièmement : Au Fond

1- De rejeter le recours présenté par M. Michael Debs, candidat battu au siège grec orthodoxe de Zahlé, deuxième circonscription électorale de la Békaa, au cours des élections législatives de l’année 2000.

2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.

3- De publier la présente décision au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 8 décembre 2000.