Décision No. 5/2000



Le Conseil constitutionnel

 Réuni en son siège en date du 27/6/2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres : Adib Allam, Michel Turkieh, Kamel Ridan, Antoine Khair, Khaled Kabbani, Hussein Hamdane, et Salim Jreissati.

Après examen du dossier du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur,

Considérant que les députés susnommés ont présenté un recours enregistré au greffe du Conseil constitutionnel sous le numéro 5/2000 en date du 16/6/2000 visant à suspendre la mise en application et à annuler les alinéas 2 et 3 de l’article 64 (nouveau), l’alinéa 2 de l’article 5 (nouveau), le dernier paragraphe de l’alinéa 5 de l’article 34 (nouveau) ainsi que les articles 6 et 7 de la loi no 227 du 31 mai 2000 relative à l’amendement de certains articles du règlement du Conseil d’Etat, vu qu’ils sont contraires à la Constitution, au principe de la spécialisation de la juridiction administrative ainsi qu’au principe d’égalité.

Considérant que les Requérants ont invoqué les motifs suivants:

 

Premièrement : Les motifs d’annulation des alinéas 2 et 3 de l’article 64 (nouveau) de la loi no 227/2000, conformément au recours :

L’alinéa 1 de l’article 64 susmentionné a conféré au Conseil d’Etat le droit d’examiner les litiges relatifs à la discipline des fonctionnaires, et ce contrairement à tout autre texte, alors que l’alinéa 2 du même article contesté prévoit que « les décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature ne peuvent être objet d’un recours, y compris d’un pourvoi en cassation » et que l’alinéa 3 également contesté dispose que «l’alinéa précédent s’applique aux recours pour lesquels une décision définitive n’a pas été rendue. »

Les Requérants allèguent que les alinéas 2 et 3 de l’article 64 (nouveau) susmentionnés sont contraires au Préambule de la Constitution qui consacre le principe d’égalité et de respect des libertés publiques, à l’instar des pactes internationaux auxquels ledit préambule se réfère, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui prévoit à l’article 7 que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi », à l’article 8 que « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui sont reconnus par la Constitution ou par la loi » et à l’article 10 que « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial ». Les deux alinéas susmentionnés sont également contraires à l’article 7 de la Constitution qui prévoit, de manière indépendante et  assertive, le principe d’égalité, y compris l'égalité de jouissance des droits civils. Les Requérants allèguent de même que le Préambule de la Constitution ainsi que les principes et les chartes auxquels il se réfère, comme il en est d’usage au sein du Conseil constitutionnel, sont considérés partie intégrante de la Constitution, et jouissent d'une valeur constitutionnelle égale à celle des dispositions de la Constitution. Par conséquent, les alinéas susmentionnés sont contraires au principe d’égalité et ainsi qu’au droit au recours dont jouit le citoyen qui a donc valeur constitutionnelle conformément à ce qui précède. De plus, les alinéas 2 et 3 susvisés sont également contraires à l’article 20 de la Constitution qui prévoit les garanties de la juridiction judiciaire et le principe de l'’indépendance de la magistrature et des juges, en ce sens que le Conseil Supérieur de la Magistrature est chargé des affaires disciplinaires des juges en tant qu’organe administratif à caractère judiciaire, ce qui concrétise cette garantie dont jouissent les juges dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et de leur responsabilisation. Ainsi, le fait de considérer les décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature non susceptibles de recours aurait pour résultat d’annuler une garantie juridique protégée par la Constitution et s’inscrit par ailleurs dans le cadre du droit de défense également protégé par la Constitution. En vue de corroborer tout ce qui précède, le recours se réfère à une décision jurisprudentielle rendue par le Conseil d’Etat, ainsi que des extraits doctrinaux qui abondent dans ce sens parmi d’autres, tels que les points communs entre la poursuite judiciaire et la poursuite disciplinaire et, par conséquent, la nécessité d’exercer le droit de défense dans les deux cas. Il convient également de noter la nature administrative des décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature qui peuvent faire naturellement l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, et ce en vue d’éviter de violer la Constitution en privant toute personne passible d’une sanction administrative de présenter un recours en justice à cet égard.

Par ailleurs, les Requérants allèguent que ces arguments sont particulièrement imputables à l’alinéa 3 de l’article 64 (nouveau) qui a sérieusement violé la Constitution en supprimant l’exercice d’un droit constitutionnel, à savoir le droit au recours et le droit de défense et en annulant par conséquent les jugements, ce qui conduit à des effets rétroactifs inadmissibles dans les affaires pénales ou disciplinaires, et à la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs consacré par la Constitution qui est violé lorsque le législateur ou le pouvoir exécutif dessaisissent directement  la justice d’une affaire pendante devant elle. Les Requérants concluent par conséquent que les alinéas susmentionnés sont contraires au principe de la spécialisation de la juridiction administrative qui a valeur constitutionnelle.

 

Deuxièmement : Les motifs d’annulation de l’alinéa 2 de l’article 5 (nouveau) de la loi no 227/2000, conformément au recours :

Conformément à l’alinéa 2 amendé de l’article 5 (nouveau) de la loi no 227/2000 qui se réfère à l’alinéa 1 du même article, le Président du Conseil d’Etat ainsi que le Commissaire du gouvernement auprès du Conseil peuvent être désignés en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre de la Défense parmi les magistrats de douzième degré et plus, alors que l’alinéa 2 se référait, avant son amendement, à l’expression «magistrats judiciaires» et prévoyait que ces derniers soient détenteurs d’un doctorat d’Etat en droit public.

Les Requérants allèguent à cet égard que la juridiction administrative est spécialisée, et que cette spécialisation, qui est également un principe constitutionnel, exige que les magistrats judiciaires de la juridiction administrative soient détenteurs d’un diplôme de spécialisation en droit public. Ils allèguent également que l’alinéa susvisé est contraire au principe d’égalité, qui est un principe constitutionnel, étant donné qu’il prive les magistrats administratifs de postes au sein de la juridiction administrative confiés à des magistrats judiciaires n’ayant pas obtenu ledit diplôme de spécialisation en droit public.

Les Requérants allèguent également à cet égard que ledit alinéa ne fut pas soumis au vote conformément à la Constitution, qu’il ne fut pas transmis sur proposition du Conseil des ministres, que par conséquent, son adoption est entachée du vice de violation de l’article 56 de la Constitution qui impose l’adoption définitive des lois avant leur promulgation par le Président de la République et que l’adoption définitive de l’alinéa susmentionné n’est pas effective dans le cas où elle n’est pas conforme aux procédures d’adoption légalement prévues.

 

Troisièmement : Les motifs d’annulation partielle de l’article 34 (nouveau) de la loi no 227/2000, conformément au recours :

 

Le paragraphe 2, alinéa 5 de l’article 34 (nouveau) prévoit ce qui suit : « Les magistrats du Conseil d’Etat dans ces tribunaux (à savoir, les tribunaux administratifs) peuvent être désignés en vertu d’une décision du Président du Conseil (à savoir, le Président du Conseil d’Etat). »

Les Requérants allèguent en ce qui concerne la possibilité ou la prérogative accordée au Président du Conseil d’Etat de désigner les magistrats des tribunaux administratifs, à savoir les magistrats de premier degré dans la juridiction administrative, en vertu d’une décision prise par lui, que ledit texte est contraire au principe d’indépendance du pouvoir judiciaire qui implique l'indépendance des magistrats eux-mêmes, tel qu’expressément prévu à l’article 20 de la Constitution, surtout que le bureau du Conseil d’Etat représente également, à l’instar du Conseil Supérieur de la Magistrature, une institution qui protège aussi bien l'indépendance de la magistrature que celle des magistrats.

 

 

Quatrièmement : La nécessité d’annuler les dispositions des articles 6 et 7 de la loi no 227/2000, vu leur inconstitutionnalité :

 

Dans le cadre de leur recours, les Requérants ont tenu à attirer l’attention sur le fait que le Conseil constitutionnel a pleins pouvoirs pour vérifier la constitutionnalité des lois selon sa propre jurisprudence et que certaines autres dispositions des articles 6 et 7 de la loi no 227/2000 sont contraires à la Constitution pour avoir méconnu le principe de la spécialisation de la juridiction administrative ainsi que le principe de l’égalité.

 

Sur base de ce qui précède

 

 

Premièrement : En la forme

Considérant que le présent recours est soumis dans le délai légal et remplit toutes les conditions de forme, il est donc recevable en la forme.

 

Deuxièmement : Dans le fond

Considérant que les Requérants requièrent de suspendre les effets et d'annuler les alinéas 2 et 3 de l’article 64 (nouveau), l’alinéa 2 de l’article 5 (nouveau), le dernier paragraphe de l’alinéa 5 de la clause 2 de l’article 34 (nouveau) ainsi que les articles 6 et 7 de la loi no 227 du 31 mai 2000, vu qu’ils sont contraires à la Constitution, au principe de la spécialisation de la juridiction administrative ainsi qu’au principe d’égalité.

 

1. Concernant la demande d’annulation des alinéas 2 et 3 de l’article 64 :

Considérant que les trois alinéas de l’article 64 (nouveau) sont relatifs à des affaires disciplinaires qui sont similaires de par leurs nature et contenu, et prévoient des principes contraires, en ce sens que le premier alinéa confère au Conseil d’Etat et contrairement à tout autre texte, le droit de connaître des litiges relatifs à la discipline des fonctionnaires, alors que le deuxième alinéa le prive du droit de connaitredes décisions administratives rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature et que le troisième alinéa du même article dessaisit le Conseil de tous les recours prévus à l’alinéa 2 et pour lesquels une décision définitive n’a pas été rendue.

 

 

A. Concernant l’annulation de l’alinéa 2 de l’article 64 :

Considérant que l’alinéa 2 de l’article 64 (nouveau) de la loi No. 227 du 31 mai 2000 prévoit ce qui suit :

« Les décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature ne peuvent être l'objet d’un recours, y compris d’un pourvoi en cassation. »

 

Considérant que l’article 20 de la Constitution prévoit ce qui suit :

 

« Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d’un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les conditions de l’inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l’exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du Peuple libanais. »

 

Considérant que l’indépendance de la magistrature consacrée par la Constitution est considérée comme un principe ayant valeur constitutionnelle.

Considérant que l’indépendance de la magistrature ne se réalise pas si l’indépendance du juge n’est pas assurée par les garanties nécessaires, dont le droit de la défense qui a valeur constitutionnelle et le droit au recours à la justice au cas où il est passible de mesures disciplinaires.

Considérant que le droit de recours à la justice est un droit constitutionnel fondamental et représente, pour le juge dans le cadre des affaires disciplinaires et lorsqu’il est accusé d’une faute disciplinaire, une des garanties prévues à l’article 20 de la Constitution.

Considérant que le Conseil Supérieur de la Magistrature ou l’organe qui y est rattaché exercent leur pouvoir disciplinaire, conformément à l'article 85 et suivants du décret-loi no 150/83, est considéré comme étant un organe administratif à caractère judiciaire, à l’instar de tout organe disciplinaire des fonctionnaires auquel la loi aurait conféré des prérogatives bien définies.

Considérant que si le fait de conférer au Conseil Supérieur de la Magistrature un pouvoir disciplinaire représente une des garanties prévues à l’article 20 de la Constitution, le fait de conférer au magistrat judiciaire le droit de recours en ce qui concerne les décisions administratives rendues par celui-ci à travers un pourvoi en cassation représente une garantie indispensable qui complète celle assurée par la participation du Conseil Supérieur de la Magistrature aux affaires disciplinaires relatives aux magistrats judiciaires.

Considérant que le fait d'empêcher le magistrat judiciaire de recourir contre les décisions du Conseil de Discipline le prive d’une garantie constitutionnelle, et constitue donc une réduction des garanties prévues à l’article 20 de la Constitution et assurées aux juges et justiciables,

Considérant que l’article 117 du règlement du Conseil d’Etat prévoit qu’il est possible de se pourvoir en cassation contre les décisions rendues en dernière instance par les organes administratifs à caractère juridictionnel, même lorsque cela n'est pas prévu par la loi, ce qui signifie que le pourvoi en cassation relatif à ces décisions relève de l’ordre public,

Considérant que les décisions du Conseil de discipline des magistrats judiciaires sont similaires à des arrêts rendus en dernière instance par des organes administratifs à caractère juridictionnel et que le droit de recours à cet égard devant la juridiction compétente représente, pour le magistrat judiciaire, une des garanties prévues à la Constitution, et le priver du droit de recours est par conséquent contraire aux dispositions de la Constitution ainsi qu’aux principes généraux constitutionnels.

Considérant que s’il appartient au législateur d’annuler une loi en vigueur ou d’amender certaines dispositions de cette loi sans que ceci ne constitue une violation à la Constitution ou ne soit soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, il est en tout autrement lorsque ceci porte atteinte à une liberté ou un droit ayant valeur constitutionnelle (décision du Conseil constitutionnel no 1/2000 du 1/2/2000).

Considérant que, lorsque le législateur élabore une loi visant les libertés et les droits fondamentaux, il ne peut amender ou annuler les lois en vigueur qui garantissent lesdits droits et libertés sans les substituer par des textes les garantissant de manière encore plus complète, ou du moins, d'une manière équivalente en termes d'efficacité et de garantie. En d’autres termes, le législateur ne peut réduire les garanties précédemment adoptées en vertu de lois et qui assurent un droit ou une liberté fondamentale, soit en annulant ces garanties sans les remplacer par d’autres, soit en les remplaçant par des garanties plus faibles et moins efficaces (décision du Conseil constitutionnel no 1/99 du 23/11/1999).

Considérant que le texte contesté, en privant le juge du droit de se défendre devant la juridiction compétente ainsi que du droit de recours, annule l'une des garanties prévues par la Constitution et qui représente, pour le juge, l'une des caractéristiques les plus importantes de son indépendance.

Considérant que l’alinéa 2 de l’article 64 de la loi no 227/2000 est donc contraire à la Constitution ainsi qu’aux principes généraux ayant valeur constitutionnelle, il convient par conséquent de l’annuler.

 

B- Concernant l’annulation de l’alinéa 3 de l’article 64 :

Considérant que l’alinéa 3 de l’article 64 de la loi no 227/2000 prévoit ce qui suit :

 

« L’alinéa précédent (l’alinéa 2) s’applique aux recours pour lesquels une décision définitive n’a pas été rendue. »

 

Considérant que le texte ci-dessus a un effet rétroactif qui a pour résultat de dessaisir le Conseil d’Etat de l’examen des pourvois en cassation intentés devant lui par les magistrats judiciaires à l’encontre desquels une décision disciplinaire a été rendue et empêche la justice de rendre des décisions sur ces recours.

Considérant que conformément au principe de la séparation des pouvoirs duquel découle le principe de l'indépendance de la justice, le législateur ne peut pas exercer son contrôle sur les décisions du pouvoir judiciaire et ne peut adresser à ce dernier des injonctions ou des instructions, de même qu’il ne peut s'y substituer pour connaître des litiges qui s’inscrivent dans le cadre de sa compétence, ce qui est applicable aussi bien à la juridiction judiciaire qu'à la juridiction administrative.

Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs qui a valeur constitutionnelle ne permet à aucune loi ou acte administratif de dessaisir la justice des affaires pendantes devant elle ce qui a pour effet de préserver le juge de l'interférence des pouvoirs législatif et exécutif.

Considérant que l’alinéa 3 de l’article 64, qui dessaisit le Conseil d’Etat des recours intentés devant lui contre les décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature avec un effet rétroactif, est par conséquent contraire aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la magistrature, et il convient donc de l’annuler.

Considérant que l’annulation de l’alinéa 2 de l’article 64 entraîne automatiquement et dans tous les cas, l’annulation de l’alinéa 3 de ce même article.

 

2. Concernant la demande d’annulation de l’alinéa 2 de
l’article 5:

Considérant que l’alinéa 2 de l’article 5 (nouveau) de la loi no 227/2000 prévoit ce qui suit :

 

« Peuvent être désignés en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres sur proposition du Ministre de la défense parmi les magistrats de douzième degré et plus.»

 

Considérant que les parties susvisées sont le Président du Conseil d’Etat et le commissaire du gouvernement, que l’alinéa 2 amendé de l’article 5 du Règlement du Conseil d’Etat prévoyait de désigner parmi les magistrats judiciaires de cinquième degré et plus détenant un doctorat d’Etat en droit public.

Considérant que le nouveau texte de l’alinéa 2 de l’article 5 prévoit uniquement que le Président du Conseil d’Etat et le commissaire du gouvernement doivent être nommés parmi les magistrats (à savoir les magistrats judiciaires) et exclut la condition de détention d'un doctorat d’Etat en droit public, ce qui est considéré par les Requérants une violation du principe de la spécialisation de la juridiction administrative ainsi que du principe d’égalité. Ils considèrent également que la manière dont le vote concernant ce texte a été effectué constitue un détournement des procédures en vigueur.

Considérant que l’article 20 de la Constitution prévoit l’indépendance de la magistrature, et ce texte implique aussi bien les juridictions judiciaire et administrative.

Considérant que le principe de la spécialisation de la juridiction administrative qui est une règle admise, est lié à une série d’éléments interdépendants qui confèrent à cette juridiction sa spécificité dont, à titre indicatif et non limitatif, le degré d’éducation qui comprend la spécialisation en droit public, tel que le doctorat.

Considérant que l’exclusion de toute disposition relative à la condition de détention d’un doctorat pour la désignation du Président du Conseil d’Etat et du commissaire du gouvernement ne porte pas atteinte à l’indépendance de la magistrature ou à sa spécialisation.

Considérant que le Conseil constitutionnel ne considère pas la proposition, le vote, la promulgation et la publication de l’alinéa 2 de l’article 5 de la loi contestée contraire aux dispositions de la Constitution.

 

3. Concernant la demande d’annulation du dernier paragraphe de l’alinéa 5 du paragraphe 2 de l’article 34 :

Considérant que l’alinéa 5 du paragraphe 2 de l’article 34 prévoit ce qui suit :

 

« Les tribunaux administratifs sont composés de magistrats diplômés de l’institut judiciaire – département du droit public ainsi que de juges nommés conformément aux dispositions de l’article 8 de ladite loi. Les magistrats du Conseil d’Etat peuvent être désignés, dans ces tribunaux, en vertu d’une décision du président du Conseil. »

Considérant que la demande d’annulation est relative au texte suivant :

« … Les magistrats du Conseil d’Etat peuvent être désignés dans ces tribunaux en vertu d’une décision du président du Conseil. »

 

Considérant que les alinéas 2 et 4 de l’article 19 du règlement du Conseil d’Etat prévoient ce qui suit :

 

Alinéa 2 : « Le bureau du Conseil d’Etat veille au bon fonctionnement, au respect et à l'indépendance de la juridiction administrative et prend les décisions nécessaires à cet égard. »

Alinéa 4 : « Le bureau du Conseil d’Etat exerce, dans tout ce qui n'est pas contraire à cette loi, les mêmes prérogatives dont jouit le Conseil Supérieur de la Magistrature à l’égard des magistrats en vertu de la loi de la juridiction judiciaire. »

 

Considérant que l’article 5 de la loi sur la juridiction judiciaire impose, à ses alinéas a et b, l’obtention de l’approbation du Conseil Supérieur de la Magistrature en ce qui concerne les transferts, rattachements et délégations, individuels et collectifs, des magistrats judiciaires.

Considérant que le bureau du Conseil d’Etat jouit, en ce qui concerne les magistrats administratifs, des mêmes prérogatives exercées par le Conseil Supérieur de la Magistrature à l’égard des magistrats judiciaires et est considéré comme une institution à laquelle la loi a conféré la mission de veiller au bon fonctionnement, au respect et à l'indépendance de la juridiction administrative. En vue de lui garantir l’exercice de ces fonctions, la loi a prévu sa participation à la nomination et au transfert des magistrats ainsi qu’à l’application de mesures disciplinaires à leur égard.

Considérant que la création d’un Conseil Supérieur de la Magistrature et d’un bureau du Conseil d’Etat pour chacune des juridictions judiciaire et administrative est considérée comme l’une des garanties les plus importantes en vue d’assurer l’indépendance de la justice au sens de l’article 20 de la Constitution.

Considérant que le dernier texte de l’alinéa 5 de la clause 2 de l’article 34 objet du présent recours confère au président du Conseil d’Etat exclusivement la prérogative de désigner les magistrats dudit Conseil dans les tribunaux administratifs en vertu d’une décision prise par lui, ce qui implique qu’il lui confère également le droit de transférer les magistrats du Conseil indépendamment du Bureau du Conseil d’Etat.

Considérant que le texte susvisé fait fi de l’institution à laquelle la loi a conféré la mission de veiller au bon fonctionnement et à l'indépendance de la juridiction administrative et que, par conséquent, il est contraire au principe de l'indépendance des magistrats et porte atteinte aux garanties assurées à ces derniers en vertu de l’article 20 de la Constitution, et il convient par conséquent de l’annuler.

 

4. Concernant la demande d’annulation des dispositions des articles 6 et 7 :

Considérant que les articles 6 et 7 de la loi no 227/2000 sont relatifs à la méthode ainsi qu’aux conditions de désignation des présidents des chambres du Conseil d’Etat, des tribunaux administratifs ainsi que des conseillers au sein du Conseil d’Etat, qu’ils prévoient que ces derniers sont désignés parmi les magistrats judiciaires, les magistrats de la Cour des Comptes, les professeurs universitaires, les fonctionnaires et les avocats et qu’ils n’imposent pas la détention d’un doctorat en ce qui concerne les candidats au poste de conseiller.

Considérant que la possibilité de désigner les présidents des chambres du Conseil d’Etat, les tribunaux administratifs ainsi que les conseillers au sein du Conseil d’Etat parmi une catégorie de magistrats, professeurs universitaires, fonctionnaires et avocats sans toutefois imposer la condition de détention d’un doctorat n’est pas contraire au principe de la spécialisation de la juridiction administrative, tant que ces mesures sont accompagnées de conditions bien définies et tant que cette possibilité ne se transforme pas en une règle régissant la désignation des magistrats du Conseil d’Etat et qu’elle se limite à une certaine proportion du cadre de la juridiction administrative, telle que prévu à l’alinéa 2 de la clause 5 de l’article 7 de la loi no 227/2000.

Considérant que la spécialisation de la juridiction administrative est liée à des éléments interdépendants dont certains sont relatifs à la source des principes généraux, notamment la jurisprudence et les règles de droit administratif qui diffèrent des règles de droit privé et dont d’autres sont relatifs à la nature des litiges qui s’inscrivent dans le cadre des prérogatives de la juridiction administrative et des privilèges dont jouit le pouvoir public, ainsi qu’à l’objectif auquel tend l’Etat, à savoir la réalisation de l’intérêt général.

Considérant que le principe de la spécialisation de la juridiction administrative, bien qu’il soit une règle communément admise par la doctrine et la jurisprudence administratives, ne constitue cependant pas un principe constitutionnel et n’a donc pas valeur constitutionnelle ; ce qui ne dispense pas le législateur de respecter ce principe lors de l’élaboration des lois relatives à la juridiction administrative, de même qu'il ne dispense pas le pouvoir exécutif de prendre en compte les nécessités de ce principe dans le cadre de la nomination des magistrats administratifs.

Considérant que les dispositions des articles 6 et 7 de la loi susmentionnée ne sont, par conséquent, pas contraires aux dispositions de la Constitution ou aux principes ayant valeur constitutionnelle.

 

 

Par ces motifs

 

Le Conseil constitutionnel décide :

 

Premièrement : De recevoir le recours en la forme.

 

Deuxièmement : De rejeter la demande d’annulation de l’alinéa 2 de l’article 5 (nouveau) et des dispositions des articles 6 et 7 de la loi
no 227/2000 étant donné qu’ils ne sont pas contraires à la Constitution ainsi qu’aux principes généraux constitutionnels.

 

Troisièmement : D’annuler les alinéas 2 et 3 de l’article 64 de la loi no 227/2000 étant donné qu’ils sont contraires aux dispositions de la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle. Quatrièmement : D’annuler le dernier paragraphe de l’alinéa 5 de la clause 2 de l’article 34 de la loi no 227/2000 qui prévoit ce qui suit : « Les magistrats du Conseil d’Etat dans ces tribunaux (à savoir, les tribunaux administratifs) peuvent être désignés en vertu d’une décision du Président du Conseil. »

 

Cinquièmement : De notifier les autorités compétentes de la présente décision et de la publier au Journal officiel.

 

Décision rendue le 27/6/2000.