Décision No. 3/1995



Le Conseil constitutionnel

            Réuni en son siège le 18/9/1995, en la présence de son Président Wajdi Mallat et la participation des membres, MM : Jawad Ousairane, Adib Allam, Kamel Raydan, Michel Turkye, Pierre Ghannage, Salim Azar, Mohamed El-Majzoub, Antoine Khair, Khaled Kabbani.

Après examen du dossier du recours, de tous les documents joints et du rapport du membre rapporteur, datant du 13/9/1995.

Considérant que Messieurs les députés susmentionnés ont présenté un recours qui fut inscrit au registre du Conseil le 29/8/1995 visant à déclarer l’annulation des articles 2, 3 et 4 de la loi no 452 du 17/8/1995 publiée au numéro 34 du Journal officiel paru le 24/8/1995.

Considérant que ceux-ci ont demandé de suspendre de façon temporaire la mise en application des articles 2, 3 et 4 de la loi contestée, conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi no 250/93, et ce jusqu’à la décision définitive concernant le recours,

Considérant que les motifs soumis reprochent aux articles devant être suspendus et annulés d'être contraires au principe de la séparation des pouvoirs, prévu au paragraphe (E) du Préambule de la Constitution, et qu’ils portent atteinte à l’indépendance de la magistrature et aux garanties offertes aux juges et justiciables, prévues à l’article 20 de la Constitution,

Considérant que le Conseil avait examiné la demande de suspension des articles contestés, tel qu'il ressort du recours, lors de ses sessions tenues le 4, 5 et 7 septembre 1995, et qu’il n’a pas trouvé lieu de répondre à cette demande,

 

Sur la base de ce qui précède

 

Premièrement, en la forme : 

 

Considérant que le recours initial présenté par dix députés durant le délai prévu au dernier alinéa de l’article 19 de la loi no 250/93, réunit toutes les conditions de forme, et est donc recevable en la forme.

 

Deuxièmement, dans le fond :

 

A- Examen des recours figurant au deuxième motif du recours :

 

Vu que le recours reproche à la loi contestée, qu’au cours de son examen et adoption, les limitations déterminées au Règlement intérieur a Chambre des députés n’ont pas été respectées et que celle-ci n’est pas passée par les étapes suivantes :

1. La loi ne comporte aucune signature, y inclus celles de certains des députés.

2. La loi n’a pas été présentée à la Chambre par l'intermédiaire de son président.

3. La loi n’a pas été accompagnée d’une note comprenant les exposés des motifs.

4. La loi ne fut pas remise par le président de la Chambre à la (ou aux) commissions(s) compétente(s).

5. La loi ne fut pas remise par le président de la Chambre au gouvernement pour examen.

6.  Le(s) commission(s) compétente(s) n’a (n’ont) pas tenu une réunion pour l’examiner.

7. La commission(s) compétente(s) n’a (n’ont) pas soumis au Bureau de la Chambre son rapport, « qui doit porter sur les différents opinions et avis, pour les inclure dans l’ordre du jour de ses sessions plénières suivant l’ordre de leur date de présentation ».

8. La proposition de loi n’a pas été lue avec ses exposés de motifs par-devant l’assemblée plénière de la Chambre.

9. Le rapport du (des) commission(s) compétente(s) n’a pas été lu par-devant l'assemblée plénière de la Chambre, et ce rapport ne lui ayant pas été communiqué par ailleurs.

 

Considérant que le domaine de contrôle de la constitutionnalité des lois du Conseil constitutionnel est lié au sens des deux articles 20 et 21 de la loi no 93/250.

Considérant que les faits exposés dans le recours, relatifs à la méconnaissance des principes et procédures de législation, n’ont pas clairement démontré la nature de la violation constitutionnelle par les articles contestés ainsi que le degré de ladite violation,

Considérant que, dans ce cas, en l'absence de preuves directes des faits et violations allégués, nonobstant la détermination de l’effet qui en résulte au cas où elles seraient prouvées, le Conseil constitutionnel ne peut pas prendre en considération ce qui a été présenté à cet égard dans la requête.

 

B. Concernant les autres motifs du recours :

 

Considérant que le recours reproche aux articles faisant l'objet de la demande d’annulation ce qui suit :

 

1. La méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs prévu au paragraphe E du Préambule de la Constitution.

2. L'atteinte à l’indépendance de la magistrature et aux garanties offertes aux juges et justiciables prévues à l’article 20 de la Constitution.

3. Le détournement de pouvoir dans la loi contestée.

4. La méconnaissance des garanties constitutionnelles offertes au pouvoir judiciaire.

 

            Considérant que le régime constitutionnel du pouvoir judiciaire prévu au paragraphe (E) du Préambule de la Constitution présente une complémentarité avec le texte de l’article 20 de la Constitution appelant le législateur à promulguer la loi « en vertu de laquelle les garanties nécessaires offertes aux juges et justiciables sont préservées ».

Considérant que l’article 20 de la Constitution a prévu que l'activité du pouvoir judiciaire – à la lumière du paragraphe (E) du Préambule de la Constitution – devrait s'exercer de manière coordonnée et équilibrée avec les fonctions de tous les pouvoirs et organes publics de l’Etat.

Considérant que les lois portant sur l'organisation de la juridiction judiciaire ou Char’i ainsi que toutes les juridictions non confessionnelles, ont adopté, dans leurs textes consécutifs à travers le temps, ce sens extrait dudit article 20, avec une tendance continue à accroître l’indépendance du corps judiciaire public, sans toutefois que cette tendance n’atteigne à ce jour l’ampleur escomptée,

Considérant qu’il est nécessaire de distinguer entre les textes législatifs contraires à la Constitution qui devraient être abrogés, et les autres textes, qui peuvent être en contradiction avec certains principes juridiques, sans qu’il en résulte aucune violation de l’article vingt de la Constitution, du paragraphe (E) du Préambule de la Constitution, ou d'aux autres postulats constitutionnels,

Considérant que le Conseil constitutionnel ne contrôle pas le texte législatif, à moins que celui-ci ne porte atteinte aux principes constitutionnels.

 

1. Recours relatif aux articles 3 et 4 de la loi no 452

            Considérant qu’il appert du recours de la loi no 452 contestée à ses articles 2, 3 et 4, que cette troisième loi prévoit ce qui suit :

 

Article 3 :

« L’article 19 de la loi no 350/1994 sera abrogée et l’article 460 de la loi portant organisation de la magistrature Char’i du 16/7/1962 dont le texte est comme suivi restera en vigueur :

« Le Conseil supérieur de la magistrature Char’i est formé du Mufti de la République Libanaise en sa qualité de président, et de ses membres qui sont les présidents des tribunaux supérieurs, les juges désignés en tant que procureurs généraux et inspecteurs. Toute décision émanant de ce Conseil contre un individu du rite jaafarite ou alaouite ne sera en vigueur que si la majorité renferme un des membres de son rite.

« De même, l’article 23 de la même loi sera abrogé et l’article 467 de la loi du 16/7/1962 restera en vigueur ».

 

            Considérant que l’article 4 de la présente loi contestée prévoit ce qui suit :

 

« L’article vingt de la loi no 350/1994 est modifiée et son texte devient comme suit :

« Un inspecteur au moins, non cadré du huitième degré, prend en charge le contrôle de la bonne marche de la magistrature Char’i sunnite, jaafarite et alaouite et des activités des juges et des fonctionnaires des tribunaux Char’is pour chacun des tribunaux. Il sera mandaté parmi les juges judiciaires du rite du tribunal compétent, et ce en vertu d’un décret et après consultation de Conseil supérieur de la magistrature Char’i, et fera partie des membres du Conseil supérieur de la magistrature Char’i. Sa rémunération mensuelle forfaitaire sera fixée par le décret le mandatant. Chacun des inspecteurs préserve sa fonction initiale au cadre auquel il est affecté, soumet ses rapports mensuels au Conseil supérieur de la magistrature Char’i, et a le droit de proposer les sanctions disciplinaires et les mesures nécessaires. »

 

            Considérant que l’article 3 de la loi contestée ne diffère pas dans son sens du contenu de l’article 460 précédent, de la loi portant sur l'organisation de la magistrature Char’i modifiée en vertu de l’article 19 de la loi no 350 du 16 juin 1994.

            Considérant que l’article 4 de la loi contestée ne diffère pas non plus du sens de l’article 461 de la loi du 16/7/1962 modifiée en vertu de l’article 20 de la loi no 350/94, tout en notant que l’article quatre a lié l’élaboration du décret de désignation du juge judiciaire inspecteur à la « l’avis du Conseil supérieur de la magistrature Char’i», qui constitue une mesure de contrôle ne figurant pas au texte précédent.

            Considérant que le Conseil constitutionnel ne trouve pas d’empêchements légitimes entravant la délégation d’un inspecteur dépendant de la juridiction judiciaire pour assurer les fonctions de contrôle auprès de la juridiction Char’i, mais considère au contraire que le rapprochement entre les législations constitue une étape juridique souhaitée, qui contribue à la complémentarité des garanties offertes aux juges et aux justiciables auprès des divers tribunaux au Liban, qu'ils soient civils ou confessionnels.

            Considérant que le Conseil constitutionnel, par conséquent, ne considère pas que le texte de ces deux articles constitue une violation de l'un des principes constitutionnels prévus à l’article /20/ de la Constitution joints au paragraphe E du Préambule de la Constitution.

 

2. Recours relatif à l’article deux de la loi no 452

            Considérant que l’article 2 prévoit ce qui suit :

Article 2 – L’article 459 de la loi sur la juridiction Char’i est modifiée comme suit :

 

« Les juges des tribunaux Char’i ne peuvent être mutés, suspendus de leur fonction, transférés au conseil disciplinaire et mis à disposition des autorités des tribunaux sans l’approbation du Conseil supérieur de la magistrature Char’i et ceci ne s’applique pas au Président de la cour suprême Char’i sans l’accord du deux tiers des membres présents du Conseil supérieur de la magistrature Char’i, et ce en l’absence du juge ou membre concerné, et en vertu d’un décret pris en conseil des ministres. »

 

            Considérant que cet article, non plus, ne diffère pas de manière fondamentale du premier texte de l’article /459/ de la loi de 1962, relatif à l’organisation de la juridiction Char’i, sunnite et jaafarite qui prévoit ce qui suit :

 

« Les juges des tribunaux Char’i ne peuvent être mutés, suspendus de leur fonction ou transférés au conseil disciplinaire sans l’approbation du Conseil supérieur de la magistrature Char’i

 

               Considérant que la création d’un Conseil supérieur de juridiction auprès des juridictions judiciaires et Char’i, représente une importante garantie à l’indépendance de la magistrature  conformément à l’article 20 de la Constitution.

               Considérant que la majorité des deux-tiers fixée au texte de ce deuxième article lors de la poursuite de l’un des présidents des trois tribunaux supérieurs Char’i, majorité supérieure à celle fixée à l’article 3 de la loi, accroît la garantie offerte à ces présidents en comparaison aux autres juges Char’i, et ne contredit pas la règle de la hiérarchie disciplinaire légale.

               Considérant que l’autorité responsable des tribunaux Char’i est l’autorité islamique supérieure de la magistrature Char’i, aux termes de l’article 463 de la loi sur les tribunaux Char’i de 1962.

Considérant que certaines des attributions de cette autorité, relatives aux juges Char’i, dépendent de l’accord préalable du Conseil supérieur de la magistrature Char’i, et rejoint dans sa source la mission accordée au ministre de la Justice dans la législation de la juridiction judiciaire.

Considérant que la mise du juge Char’i à la disposition de l’autorité des tribunaux Char’i, sous réserve de l’accord du Conseil supérieur de la magistrature Char’i, d’une manière similaire au principe de rattachement du juge au ministre de la Justice, ne constitue pas une violation constitutionnelle.

Considérant que l’article 2 de la loi contestée prévoit que les mesures entreprises par le  Conseil supérieur de la Char’i se font « en l’absence du juge ou membre concerné ».

Considérant que l’expression « et ce en l’absence du juge ou du membre concerné » entraîne la privation du juge, ou tout autre membre de la magistrature Char’i, de l’exercice de sa défense lorsque le Conseil supérieur de la magistrature Char’i exerce ses attributions en son encontre, ce qui représente une exclusion qui porte atteinte aux droits constitutionnels de la défense garantis aux juges et aux justiciables en vertu de l’article 20 de la Constitution.

Considérant que le Conseil constitutionnel estime qu’il est nécessaire de permettre au juge, ou au membre concerné, d’exercer le droit de défense en premier lieu avant que le Conseil supérieur de la magistrature Char’i ne prenne de mesure à son encontre.

Considérant que sur la base de ce qui précède, cette expression renferme une mesure inconstitutionnelle, et doit être annulée et considérée comme inexistante dans le texte de l’article 2 de la loi no 452/95 en préservant le restant du texte du même article sans modification aucune.

 

Pour ces motifs

 

Et après délibération,

Le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité :

 

Premièrement : En la forme :

La recevabilité du recours vu qu’il est présenté dans le délai légal
et qu’il réunit toutes les conditions de forme légalement requises.

 

Deuxièmement : Dans le fond :

1. Le rejet de la demande d’annulation des articles 2, 3 et 4 de la loi contestée no 452/95.

2. Que les articles ne sont pas contraires à la Constitution, à l’exception de la dernière expression de l’article deux dont le texte est le suivant : « Et ce en l'absence du juge ou du membre concerné » ; et l'annulation de cette expression dans son ensemble, en approuvant le reste du contenu de l’article.

3. La notification de la présente décision aux autorités officielles compétentes et sa publication au Journal officiel.

 

Décision rendue le 18/9/1995.