Décision No. 12/2000



Décision No. 12/2000

Date: 08/12/2000

 

Recours No. : 12/2000

Le Requérant : M. Talal Khaled Bek Abdel Kader Merehbi, candidat battu au siège sunnite de la première circonscription électorale du Nord (Akkar, Dennieh, Bécharré), au cours des élections législatives de l’année 2000.

Le Défendeur : Mohammed Yahya, député élu pour le siège susmentionné.

Objet : Recours en invalidation de la députation des Défendeurs.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,

Il appert que le Requérant, M. Talal Merehbi, candidat battu au siège sunnite de Akkar, première circonscription du Nord, au cours des élections législatives de 2000, a présenté, auprès de la présidence du Conseil Constitutionnel, en date du 27/09/2000, par le biais de son mandataire, un recours enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 12/2000 et visant à contester la validité de l’élection de M. Mohammed Yahya, qui a été proclamé élu pour le siège susmentionné au cours des élections législatives dans la circonscription électorale susnommée. Le Requérant a demandé de recevoir le recours en la forme, d’annuler la députation du Défendeur, de le proclamer (le Requérant) élu pour le siège susmentionné et, subsidiairement, d’annoncer l’invalidité de la députation du député dont l’élection est contestée, de permettre l’organisation de nouvelles élections pour le siège qui sera vacant en raison de ladite annulation et plus subsidiairement, d’annuler l’ensemble des élections législatives et d’en organiser d’autres, conformément aux lois et règles en vigueur. A cet égard, le Requérant a invoqué les motifs suivants :

a- La liste des électeurs :

La liste des électeurs n’a pas été mise à jour, ce qui est contraire à la loi et qui porte atteinte par conséquent à la validité des élections. En effet, d’une part, lesdites listes comprenaient des noms qui auraient dû être rayés en raison du décès de l’électeur ou pour tout autre motif et devaient comprendre d’autre part, les noms de personnes ayant désormais le droit de voter. Il est possible de s’assurer de la véracité de ces allégations en comparant la liste des électeurs en vigueur depuis les législatives de 1996 et jusqu’au 30/03/2000 à la liste adoptée pour les élections objet du recours et de les collationner avec les inscriptions figurant aux registres du statut personnel.

Le Requérant a par ailleurs ajouté que, conformément à l’article 25 de la loi No. 171 du 06/01/2000, le Ministre de l’intérieur est tenu, en cas d’erreurs ou de failles entachant les listes électorales, de quelque nature qu’elles soient, de saisir la commission supérieure de décompte des voix compétente de l’affaire qu’elle réglera dans l’espace de trois jours et que le Requérant, ainsi que certains de ses camarades, avaient émis des demandes visant à remédier aux failles. Le Ministre de l’intérieur avait soumis, à la commission supérieure de décompte des voix, plus de huit mille trois cents demandes qui avaient été déposées auprès de lui. Ladite commission a rendu des décisions à leur égard ordonnant d’inscrire les demandes sur la liste des électeurs et bien que lesdites décisions jouissent de la force de la chose jugée, elles n’ont pas été exécutées, ce qui a porté atteinte au processus électoral étant donné que cette situation est similaire à celle de l’électeur dont le nom figure sur la liste des électeurs et qui n’a pu émettre son suffrage. Le Requérant a demandé d’obtenir une copie desdites décisions et de se référer, le cas échéant, au président et aux membres de la commission pour tout éclaircissement.

Le Requérant a également ajouté que si l’on avait remédié aux failles, il aurait obtenu les voix des personnes pour lesquelles des décisions ordonnant l’inscription de leurs noms sur les listes électorales ont été rendues. Considérant que les personnes dont les noms n’ont pas été inscrits sur les listes des électeurs en vertu des décisions rendues par la commission supérieure de décompte des voix n’ont pas reçu, personnellement, les décisions rendues, dans ce cas, et conformément à la doctrine et la jurisprudence, il convient de joindre le nombre de ces voix (un peu plus de 8 300 voix) à celles obtenues par les candidats battus, ce qui inverserait les résultats et ferait du Requérant le candidat dûment élu.

b- Concernant les listes électorales adoptées dans les bureaux de votes ainsi que les vices qui les entachent :

Conformément à la loi, les listes électorales doivent être conformes aux listes des électeurs, ce qui n’a pas été le cas au cours des élections et qui porte atteinte au processus électoral. Par ailleurs, les procès-verbaux des bureaux de vote comprenaient des électeurs fictifs dont la signature ne figurait pas sur les listes électorales. Or, conformément à la doctrine et la jurisprudence, les inscriptions figurant sur les listes électorales prévalent en cas de divergence avec les inscriptions des procès-verbaux du scrutin ou avec tout autre document. Il appert de l’examen de plusieurs listes électorales adoptées par les différents bureaux de vote que certaines signatures sont attribuées à des expatriés qui se trouvaient hors du territoire libanais le jour du scrutin ainsi qu’à des personnes décédées, comme il en a été le cas dans les quartiers de Saydé et de Mar Saba à Bécharré et ce, à titre indicatif non limitatif.

c- Concernant les infractions à la loi commises par la commission du bureau de vote :

Considérant que la loi prévoit que la commission du bureau de vote soit formée d’un président, d’un assistant et de quatre représentants au moins. Le Requérant allègue que par simple consultation des procès-verbaux de tous les bureaux de vote, le Conseil peut s’assurer du fait que les commissions des bureaux de vote étaient toutes formées de manière contraire à la loi et aux procédures en vigueur, tel qu’il ressort du nombre insuffisant des signatures des représentants qui figurent dans les procès-verbaux. Ces failles portent atteinte à la validité du processus électoral.

d- Concernant le mode de scrutin et l’isoloir :

La loi et les procédures réglementaires prévoient la forme et le mode du scrutin, la forme de l’isoloir ainsi que son contenu. Par ailleurs et conformément à l’article 25 de la loi électorale promulguée en 1960, le bulletin de vote doit être placé dans une enveloppe derrière l’isoloir et l’enveloppe doit être fermée avant d’être glissée dans l’urne, ce qui n’a pas été le cas. De plus, les isoloirs dans tous les bureaux de vote n’étaient pas conformes aux dispositions de la loi. La véracité de ces allégations peut être établie en interrogeant les présidents des bureaux de vote et en cas de dénégation, le Requérant se réserve le droit de convoquer ses témoins. Il convient de noter également qu’un grand nombre d’électeurs n’émettaient pas leurs suffrages derrière l’isoloir et glissaient la liste des candidats dans l’urne ouvertement. Toutes ces infractions à la loi portent atteinte au processus électoral.

e- Concernant le contenu des urnes :

Il appert des faits que la majorité des urnes arrivaient aux commissions locales de décompte des voix sans certains des documents requis, tels que les listes électorales et le procès-verbal de la commission du bureau.

f- Les urnes :

La plupart, si ce n’est toutes les urnes ont été livrées à la commission supérieure de décompte des voix de manière contraire aux dispositions de la loi. Les urnes doivent être fermées au moyen de deux serrures, la clé de la première confiée au président du bureau de vote et la clé de la deuxième, confiée à l’un des représentants ; elles doivent être livrées à la commission locale de décompte des voix par le président du bureau de vote qui est tenu de se faire accompagner par des membres des forces de la sécurité et par quelques représentants. Elles doivent également être ouvertes devant la commission de décompte des voix et contenir les documents requis susmentionnés et ce, sous peine d’annulation de l’urne concernée. Le Requérant allègue à cet égard que ces dispositions n’ont pas été respectées et qu’il se réserve le droit de souligner, le cas échéant, les autres facteurs qui ont également porté atteinte à la liberté et volonté des électeurs.

g- Concernant les différents moyens de pression et de contrainte visant à influencer la volonté des électeurs :

Tous les habitants de la première circonscription électorale de la Mohafazat du Liban Nord savent que le Défendeur a dépensé d’importants montants pour influencer la volonté des électeurs et les pousser à voter en sa faveur. Le Requérant déclare qu’il est capable de prouver ses allégations à cet égard en ayant recours aux témoins et qu’il appartient au Conseil Constitutionnel, en vertu des prérogatives de nature interrogatives dont il jouit, d’enquêter sur ce sujet. Par ailleurs, l’Association Libanaise pour la Démocratie des Elections a mentionné dans ses rapports que la première circonscription électorale a connu la plus large opération d’achat de voix et de consciences, ce qui a porté atteinte à l’ensemble du processus électoral et que l’achat de voix a revêtu plusieurs aspects dont les apports en en bien et en nature.

Le Requérant a ajouté que, au cours des élections de 1996, il avait obtenu 81 782 voix, alors qu’il avait obtenu, en réalité 87 000 voix, contre 63 537 voix pour Wajih Baarini, 52 252 voix pour Jamal Ismail et 49 678 voix pour Mohammed Yahya, au cours des mêmes élections. L’écart entre les voix obtenues par le Reqérant d’une part et le Défendeur d’autre part s’était donc élevé à 32 000 voix, ce qui rend anormaux les résultats des élections de 2000, sur lesquels l’argent et les moyens de pressions ont eu une incidence significative, mis à part d’autres facteurs divers. Le Requérant a également ajouté que les sondages d’opinions montraient qu’il devançait les autres candidats dans le caza de Akkar et dans d’autres cazas du Nord.

Il appert que le Requérant a présenté, en date du 07/10/2000, un mémoire détaillant les motifs allégués dans son recours et conforté par des textes de la jurisprudence française. Le Requérant a réitéré ses précédentes allégations et a présenté un autre mémoire en date du 23/10/2000 détaillant également les motifs du recours et demandant la désignation d’une commission d’experts chargée d’enquêter sur le processus électoral et de vérifier l’application de l’article 25 de la loi électorale par le Ministre de l’intérieur.

Il appert que le Défendeur a présenté un mémoire responsif enregistré au greffe du Conseil en date du 16/10/2000, en vertu duquel il a demandé de rejeter le recours intenté par le Requérant en la forme, sinon, au fond pour invalidité des motifs allégués et absence de preuve attestant la véracité desdits motifs, en niant les allégations du Requérant et établissant leur invalidité. Il a également demandé dans son mémoire responsif daté du 04/100/2000 de rejeter la demande de désignation d’une commission d’experts ainsi que le recours en la forme, sinon au fond, détaillant ses précédentes allégations et invoquant des textes de la jurisprudence française.

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : En la forme

Considérant que l’élection dans la première circonscription électorale du Nord (Akkar, Dennieh, Bécharré) a eu lieu le 27/08/2000, que les résultats ont été officiellement proclamés en date du 28/08/2000 et que le présent recours a été intenté auprès du Conseil Constitutionnel le 27/09/2000, soit dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et à l’article 46 de la loi No. 243/2000.

Considérant que le Requérant a produit, en annexe à son recours, une procuration certifiée par-devant notaire, l’autorisant de manière expresse à intenter le recours auprès du Conseil Constitutionnel.

Le présent recours remplit ainsi toutes les conditions de forme ; il est par conséquent recevable en la forme.

Deuxièmement : Au fond

Concernant les listes électorales :

Considérant que la loi électorale No. 171 du 06/01/2000 a prévu, au troisième chapitre, les dispositions juridiques relatives aux listes électorales et aux moyens de recours y relatifs (article 11 et suivants).

Considérant que les textes figurant au chapitre trois ont prévu les méthodes de vérification et de rectification des listes électorales, ainsi que les moyens de recours y relatifs ; ces derniers représentant des actes administratifs soumis aux procédures et délais prévus par la loi.

Considérant qu’il ressort de la définition desdites procédures, que le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler leur application et que sa compétence est limitée aux activités électorales et ne s’étend pas aux procédures administratives préélectorales, dont la constitution, vérification et rectification des listes électorales, à l’exception des cas où lesdites procédures relatives aux listes électorales sont entachées de fraude, ce qui vicie le processus électoral, à condition toutefois que le Requérant, dans le cas où son recours est basé sur ladite fraude, mentionne les noms des personnes figurant sur les listes électorales de manière illégale ou dont les noms n’ont pas été rayés malgré les motifs juridiques imposant cette mesure.

Considérant que, dans le cadre de la présente affaire, il n’appert pas que le Requérant a invoqué des actes frauduleux viciant les listes électorales et n’a pas mentionné les noms des personnes ayant commis ou ayant été victimes de ladite fraude, ce qui a corrompu le processus électoral.

Considérant que, à supposer qu’il y ait eu négligence ou fraude dans l’inscription ou la suppression illégale de noms, ceci s’applique au Requérant ainsi qu’au Défendeur de manière égale, par conséquent, il n’est pas possible de parler de corruption du processus électoral.

Considérant qu’il en est autrement dans le cas où un électeur n’est pas inscrit sur la liste des électeurs alors qu’une décision ordonnant son inscription avait été rendue par l’autorité compétente. Dans ce cas, l’article 48 de la loi électorale l’autorise à se présenter aux urnes, conformément à cette décision et dans le cas où sa demande est refusée ledit article impose l’enregistrement de cette irrégularité dans le procès-verbal du scrutin. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel peut s’assurer si cette irrégularité est susceptible d’avoir une incidence significative sur le résultat définitif proclamé et prendre la décision appropriée à cet égard.

Considérant que, à supposer que la commission de décompte des voix ait rendu une décision ordonnant l’inscription de noms ne figurant pas aux listes électorales et que ladite inscription ait été refusée, aucune preuve n’atteste que les personnes objet de la décision d’inscription ont tenté d’exercer leur droit de vote, que les présidents des bureaux de vote les en ont empêchées et que ledit refus ait été inscrit dans les procès-verbaux officiels.

Concernant les autres irrégularités invoquées :

Considérant que les principes suivants sont admis par la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel :

Premièrement: Même si le Conseil Constitutionnel jouit de larges prérogatives en matière d’enquête dans le cadre des recours électoraux et même si les mesures qu’il adopte sont de nature interrogatives, ceci ne porte pas atteinte à la règle générale selon laquelle le Requérant est tenu de prouver ses allégations ou du moins, d’apporter un commencement de preuve sérieuse en vue de permettre au Conseil Constitutionnel de lancer l’enquête sur base des faits et motifs allégués dans le recours.

Deuxièmement : Il ne suffit pas d’alléguer l’existence de certaines infractions entachant le processus électoral pour que le Conseil Constitutionnel soit tenu de les examiner ; il faut que lesdites irrégularités soient dangereuses, répétitives et préméditées, elles doivent également avoir une incidence directe et significative sur la validité de l’élection du Défendeur et avoir entraîné son élection ou du moins, avoir largement contribué à sa victoire.

Troisièmement : Il est impératif de prendre en considération l’écart entre les voix obtenues par le Requérant d’une part et le Défendeur d’autre part, en ce sens que si cet écart est important et que les irrégularités, à supposer qu’elles aient eu lieu, ne sont pas susceptibles de modifier le résultat définitif, le Conseil Constitutionnel ne les prend pas en considération étant donné qu’elles n’ont aucune incidence sur le résultat.

Considérant que, à la lumière de ces principes, il convient d’examiner les motifs du recours intenté par le Requérant.

Considérant qu’il appert de l’examen desdits motifs que le Requérant s’est limité à des généralités sans prouver les irrégularités alléguées pour soutenir sa demande d’annulation de l’élection des Défendeurs, qu’aucune demande d’enregistrement d’une irrégularité n’a été présentée auprès des bureaux de vote ou des commissions de dépouillement, ses allégations ont par conséquent dénuées de toute preuve et il n’appartient pas au Conseil Constitutionnel de lancer une enquête sur base de simples allégations faites par le Requérant ou de désigner une commission d’experts pour s’assurer de la véracité des faits allégués ou pour vérifier des procédures entachées d’irrégularités non précisées et dont l’incidence sur la validité du processus électoral n’a pas été déterminée.

Considérant qu’il est illogique de supposer qu’un grand nombre d’électeurs allait voter pour le Requérant si lesdites irrégularités n’avaient pas eu lieu, tel qu’il appert du recours, étant donné qu’il est impossible d’émettre des suppositions quant au candidat en faveur duquel les électeurs voteront, ou de se baser sur le fait qu’il ait obtenu un nombre de voix inférieur à celui obtenu au cours des élections de 1996 pour prouver l’invalidité du processus électoral qui a eu lieu le 27/08/2000, étant donné qu’il est impossible de les comparer de manière logique et réaliste. Par conséquent, il convient de rejeter les motifs allégués à cet égard vu leur invalidité.

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme

De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.

Deuxièmement : Au fond

1- De rejeter le recours présenté par M. Talal Khaled Bek Abdel Kader Merehbi, candidat battu au siège sunnite de Akkar, première circonscription électorale du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.

2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.

3- De publier la présente décision au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 8 décembre 2000.