Décision No. 6/2000



Décision No. 6/2000
Date : 8/12/2000

Recours No. 6/2000
Le Requérant : Me. Boutros Mikhael El Doueihi, candidat battu au siège maronite de Zghorta, seconde circonscription du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.
Le Défendeur : César Farid Mouawad, député élu pour le siège susmentionné.
Les parties dont l’intervention est requise : Le Ministre de l’intérieur, représenté par ses subordonnés chargés des affaires relatives aux élections à savoir, la Direction des Affaires Politiques et Administratives, le Président de la commission supérieure de décompte des voix dans la même circonscription et notamment les personnes ayant participé au dépouillement du scrutin et au recensement des votes.
Objet : Intenter un recours en invalidation de la députation du Défendeur et réclamer des indemnités pour les dommages moraux et matériels subis par le Requérant tant en ce qui concerne le montant de la garantie que la propagande électorale, le transport et le déplacement des électeurs à ses propres frais.

Le Conseil Constitutionnel,
Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.
Vu l’article 19 de la Constitution,
Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur,
Il appert que le Requérant, Me. Boutros Mikhael El Doueihi, candidat battu au siège maronite de Zghorta, seconde circonscription du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000, a présenté un recours auprès du Président du Conseil Constitutionnel en date du 26/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 6/2000 et visant à invalider la députation du député César Farid Mouawad, député élu pour le siège maronite de Zghorta Al Zawiya, seconde circonscription du Nord, demandant l’intervention du Ministre de l’intérieur ainsi que de ses subordonnés et réclamant des indemnités pour les dommages moraux et matériels qu’il a subis tant en ce qui concerne le montant de la garantie que la propagande électorale, le transport et le déplacement des électeurs à ses propres frais.
Conformément au recours, lors de la lecture du document de proclamation des résultats définitifs de la seconde circonscription du Nord, le Requérant était surpris de lire les mentions suivantes devant son nom : Tripoli Almunieh : retiré, Zghorta : aucune voix, Koura : 59 voix, Batroun : 97 voix, soit un total de 156 voix.
Le Requérant allègue que ledit document est contraire à la réalité étant donné qu’il ne s’est pas retiré, qu’il a persévéré jusqu’à la fermeture des urnes tout en se déplaçant entre les bureaux de votes. Par conséquent, la Direction des Affaires Politiques et Administratives du Ministère de l’intérieur est responsable de cette irrégularité puisqu’il n’a soumis aucune demande de retrait auprès d’elle. Sont également responsables le président de la commission supérieure de décompte des voix de la seconde circonscription du Nord qui a supposé qu’il s’était retiré, ainsi que le Ministre de l’intérieur étant donné qu’ils ont occulté les votes qu’il a obtenus dans le Caza de Zghorta en général et dans la localité de Zghorta en particulier, alors que ses partisans se comptent par milliers.
Le Requérant a également ajouté que la majorité des voix qu’il aurait effectivement obtenues à Koura et Batroun, ont été reportées à un autre candidat dans la localité de Zghorta. Par conséquent et en vue de prouver le recours, il est impératif de se référer aux résultats de tous les bureaux de vote de la seconde circonscription du Nord. Le Requérant considère également le Ministre de l’intérieur responsable des irrégularités commises par ses subordonnés.
Il appert également que le Défendeur, le député élu Dr César Mouawad a été notifié de l’assignation du recours en date du 28/09/2000 et a présenté ses conclusions responsives le 12/10/2000 en vertu desquelles il a demandé de rejeter le recours en la forme dans le cas où il ne remplit pas les conditions de forme requises et étant donné qu’il n’a pas été envoyé par le Président de la Chambre des députés et qu’il n’est pas intenté contre le Défendeur puisque le Requérant n’a pas demandé d’annuler la députation de ce dernier mais a intenté son recours contre le Ministère de l’intérieur, sans pour autant préciser l’objectif de son recours. Au fond, le Défendeur a demandé de rejeter le recours vu le défaut de preuves établissant la véracité des irrégularités et l’absence de relation causale entre ces dernières et les résultats de l’élection et ce, conformément à la règle générale qui impose au Requérant la charge de la preuve. Le Défendeur a également demandé de rejeter le recours vu l’écart significatif entre les voix obtenues par chacune des parties, soit /56 078/ en sa faveur contre 595 voix en faveur du Requérant, surtout que le processus électoral n’a été entaché d’aucun vice ou irrégularité susceptibles d’avoir une incidence significative sur le résultat de l’élection. Par ailleurs, le Défendeur a demandé d’obliger le Requérant au paiement de tous les frais et dépens.
Il appert également que le Requérant a demandé, dans ses conclusions responsives du 26/10/2000, de rejeter les arguments invoqués dans les conclusions du Défendeur en réitérant ses allégations mentionnées à l’assignation du recours. Il a déclaré par ailleurs qu’il n’a soumis aucun document officiel puisque les commissions de dépouillement se sont abstenues de lui communiquer tout résultat étant donné que les procès-verbaux du dépouillement n’étaient pas signés par lui et a allégué que son recours est relatif à la validité de la députation du Défendeur et que le document qu’il a produit représente un commencement de preuve écrite, étant une copie claire de tous les résultats de la seconde circonscription : Tripoli, Almunieh, Zghorta, Koura, Batroun. Le Requérant invoque également l’article 39 du règlement intérieur du Conseil Constitutionnel qui prévoit ce qui suit : le membre rapporteur prend soit spontanément, soit sur demande des parties adverses, les mesures qu’il juge nécessaires pour procéder à l’enquête, telles que la désignation des experts et l’interrogatoire des différents individus, par conséquent, il est nécessaire d’interroger le Requérant ainsi que le Défendeur en ce qui concerne les faits relatifs aux élections à Zghorta et au Nord.
Sur base de ce qui précède,
Premièrement : En la forme
Considérant que les élections de la seconde circonscription du Nord ont eu lieu le 27/08/2000, que les résultats ont été proclamés en date du 28/08/2000 et que le présent recours a été intenté auprès du Conseil Constitutionnel le 26/09/2000, soit dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et à l’article 46 de la loi No. 243/2000,
Le présent recours est par conséquent intenté dans le délai légal et remplit toutes les conditions de forme, il est donc recevable en la forme.
Considérant qu’il appert que le recours a été notifié au Ministère de l’intérieur ainsi qu’à la présidence du Conseil Parlementaire en date du 27/09/2000, tel qu’il ressort du libellé du recours, par conséquent, les notifications prévues à l’article 27 de la même loi susmentionnée ont été dûment effectuées.
Considérant que la loi n’a pas prévu la nécessité de l’intervention du Ministre de l’intérieur ou de toute autre autorité dans le recours, il convient par conséquent de rejeter la demande faite à cet égard par le Requérant.
Deuxièmement : Au fond
Considérant que le présent recours vise, tel qu’il ressort de la conclusion de l’assignation du recours, à contester la validité de la députation du député élu, Dr César Farid Mouawad.
Considérant que le fait de contester la validité de l’élection d’un député élu entraîne automatiquement, en cas de recevabilité du recours, à l’annulation de l’élection du député dont la validité de l’élection est contestée, même si la demande d’annulation n’est pas formulée de manière expresse.
Considérant que la demande de rejet du recours en la forme n’est pas nécessaire étant donné que ledit recours ne mentionne pas la demande d’annulation de manière expresse.
Considérant que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel considère qu’il appartient au Requérant de prouver la validité de ses allégations pour que ledit Conseil puisse prendre les mesures nécessaires visant à établir la véracité des faits allégués et des documents produits, dans le cas où ceux-ci sont revêtus du degré requis de sérieux et sont directement liés aux élections, surtout qu’il n’appartient pas au Conseil de mener les enquêtes nécessaires à cet égard sur simple réception du recours et que le Requérant est tenu de prouver que les irrégularités et faits qu’il allègue ont eu une incidence significative sur le résultat des élections, en ce qu’ils ont entraîné l’élection de son adversaire.
Considérant qu’il appert de l’assignation du recours que le Requérant n’a mentionné aucun fait ou irrégularité attestant que le processus électoral, y compris l’émission, par les électeurs, de leurs suffrages étaient entachés d’un vice et qu’il n’a pas prouvé son allégation concernant le fait que les voix de ses électeurs ont été reportées en faveur de candidats qu’il n’a pas désignés et ses allégations à cet égard sont restées dénuées de toute preuve, logique et sérieux. Le Requérant n’a également pas démontré si les procès-verbaux du dépouillement prouvaient qu’il avait obtenu un certain nombre de voix mais que celles-ci n’ont pas été communiquées à la commission locale de décompte des voix et, par la suite, à la commission supérieure de décompte des voix ; or, si ceci avait effectivement eu lieu, le Requérant aurait présenté une demande de rectification des procès-verbaux auprès de la commission locale de décompte des voix et par la suite, auprès de la commission supérieure de décompte des voix (articles 59 et 60 de la loi électorale No. 171/2000) et sa demande est restée lettre morte. Par ailleurs, le Requérant avait déclaré dans l’assignation du recours qu’il avait circulé sans arrêt parmi les différents bureaux de vote, ce qui implique par conséquent, qu’il avait suivi le déroulement du processus électoral, ses résultats ainsi que leur proclamation.
Considérant que, à supposer que le Requérant s’est effectivement retiré des élections, tel qu’il ressort du document de proclamation des résultats définitifs émis par le Ministère de l’intérieur, ce document, à supposer qu’il est valide, ne peut avoir eu une incidence sur l’élection étant donné qu’il a été émis à une date ultérieure aux élections. Par ailleurs, il n’a pas été prouvé de manière certaine qu’une déclaration a été faite, conformément à l’article 37 de la loi électorale, attestant le retrait du candidat Requérant alors que ce dernier était toujours candidat aux élections.
Considérant qu’il convient de rejeter le recours pour absence de sérieux.
Considérant que le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour examiner la demande de restitution de la garantie ou celle concernant le paiement de dommages et intérêts pour les dommages matériels ou moraux subis ; par conséquent, il convient de rejeter ladite demande.
Par ces motifs,
Le Conseil Constitutionnel décide :
Premièrement : En la forme
De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.
Deuxièmement : Au Fond
1- De rejeter le recours présenté par Me. Boutros Mikhael El Doueihi, candidat battu au siège maronite de Zghorta, seconde circonscription du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.
2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.
3- De publier la présente décision au Journal Officiel.
Décision rendue le 8 décembre 2000.