Conférences et activités

Séminaire organisé en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer : « Projet d’extension des attributions du Conseil constitutionnel : Rejoindre l’évolution mondiale et Arabe de la justice constitutionnelle », Beyrouth, Liban

06/05/2016

A un moment de marasme presque général au Liban, le Conseil constitutionnel tente inlassablement de sauvegarder le patrimoine libanais de légalité et de constitutionnalisme. Il s’agit en effet d’assurer la consolidation à l’avenir de l’Etat de droit, en conformité d’ailleurs avec l’évolution mondiale du droit et l’extention des attributions de la justice constitutionnelle dans la plupart des Etats arabes d’aujourd’hui.

Le séminaire, organisé par le Conseil en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer autour du « Projet d’extension des attributions du Conseil constitutionnel », élaboré par le président du Conseil constitutionnel Issam Sleiman, a groupé, outre tous les membres du Conseil, des représentants de la Fondation Konrad Adenauer, d’anciens ministres, des députés, des représentants des plus hautes instances judiciaires et des universitaires.

Les statuts du Conseil constitutionnel, « fruit d’un travail laborieux » (Ibrahim Najjar et Samir el-Jisr), sont objet du débat en vue d’une réforme à la lumière de l’expérience. Les projets de réforme « puisés de l’expérience sont justement ceux qui réussissent » (Fayiz Haj-Chahine). Le séminaire témoigne d’une « résistance culturelle symbolique » (Lara Karam Boustany), d’une « pensée à la hauteur de la culture des droits » (Antonio al-Hachem) et d’une « perspective doctrinale éclairée » (Khaled Kabbani).

Les allocutions d’ouverture soulignent l’exigence de réhabiliter et de consolider l’Etat de droit au Liban « qui devra rejaillir dans toute la région » ( Tarek Ziadé). Il s’agit aussi de développer l’édifice constitutionnel au Liban « à l’encontre de dérives et d’obstacles souvent dressés volontairement » (Peter Remmele), en partant certes de l’expérience du Conseil constitutionnel libanais lui-même durant vingt ans. Les attributions du Conseil sont circonscrites au minimum, non seulement par rapport à la justice constitutionnelle en général, mais même par rapport à des Etats africains et arabes (Issam Sleiman). Les travaux sont concentrés autour de quatre volets.


  1. Le recours en interprétation de la Constitution : Les interventions et débats en vue de l’extension des attributions du Conseil constitutionnel au recours en interprétation de la Constitution, comme cela était prévu dans l’Accord d’entente nationale de Taëf, soulignent à la fois le besoin de ce recours à la lumière de l’expérience et la problématique de l’application effective de l’interprétation. Lors de l’amendement constitutionnel de 1990, le recours en interprétation n’a pas été retenu par le Parlement pour le motif qu’il s’agit d’une fonction normative qui relève du Parlement lui-même, « justification qu’il faudrait désormais nuancer » (Samir el-Jisr). Deux perspectives peuvent être dégagées :
    1. Le poids des faits : Les faits eux-mêmes prouvent le besoin du recours en interprétation, avant l’Accord de Taëf et après, ainsi que les crises liées à l’interprétation (Jean Fahd). En outre la spécificité de la Constitution libanaise (Pacte national, coexistence, parité, participation, discrimination positive…) implique des approches au-delà d’un rigorisme juridique conventionnel.

En pratique, les Libanais se trouvent souvent confrontés, non pas à des interprétations divergentes, « mais à deux Constitutions, celle nationale, et celle de fait et effectivement appliquée. C’est alors que le nombre, des experts constitutionnels au Liban dépasse celui des experts du code de la route ! » (Ghaleb Mahmasani), « provoquant un engorgement du trafic plus qu’ils ne le facilitent » (Fayiz Haj-Chahine). D’où le besoin d’un recours référentiel « dans les cas certes où la disposition n’est pas suffisamment explicite et en vue d’extraire le sens profond » (Fayiz Haj-Chahine). Il n’y a pas là un empiètement sur les attributions du Parlement, du moment que le recours peut émaner du Parlement lui-même. Une telle interprétation est aussi plus proche de la réalité du texte fondamental que des commentaires émanant de considérations politiques conjoncturelles. Il en découle aussi à travers les recours en interprétation « un approfondissement de la culture constitutionnelle que le citoyen vit au quotidien » (Chebli Mallat).

On rappelle qu’autrefois le Bureau du Parlement, ou son Président, sollicitait des consultations de grands constitutionnalistes et appliquait les résultats des consultations (Ghassan Moukheiber). La mise en garde à l’encontre des risques (Amine Saliba), afin de sauvegarder la crédibilité du Conseil constitutionnel lui-même, et aussi des risques qui découlent de compromissions interélites et de commentaires débridés (Mireille Najm Chukrallah) ne devrait pas déboucher sur le rejet absolu du recours en interprétation devant le Conseil constitutionnel. Il s’agit, soit d’institutionnaliser le recours consultatif auprès du Conseil constitutionnel, soit de reconnaître de façon absolue le recours en interprétation devant le Conseil, comme c’est le cas dans nombre de pays, dont la Jordanie, le Koweit, le Soudan…, évitant « les compromissions aux dépens de la Constitution, la paralysie des institutions et les débats extra-institutionnels et polémiques » (Issam Sleiman).


  1. L’autosaisine : L’absence d’autosaisine du Conseil à propos de certaines lois considérées fondamentales a fortement limité les attributions du Conseil (Antoine Khair).



  1. Le recours par voie d’exception : Cette perspective, garantie dans la majorité des instances constitutionnelles, et même dans la plupart des Cours et Conseils constitutionnels arabes, est inexistante au Liban. Il en découle notamment que toute la législation libanaise antérieure aux amendements constitutionnels de 1990 est soustraite à tout contrôle de constitutionnalité. La Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), instituée en France depuis le 10 mars 2010, incite à une réflexion opérationnelle sur ses procédures et son effectivité. Deux perspectives se dégagent des interventions et débats.
    1. Question « prudente » de constitutionnalité : La contestation d’une loi pour inconstitutionnalité au cours d’un procès ouvre certes la voie à une « conception vivante du droit qui rejoint plusieurs Etats arabes : Le Conseil constitutionnel sera ainsi appelé à trancher des questions sensibles, notamment sur le statut personnel, le statut de la femme…, et donc de grands débats » (Lara Karam Boustany). Le juge constitutionnel libanais sera-t-il alors « introduit dans l’arène politique ? » (Chebli Mallat). Certes la Cour de Cassation est souvent intervenue et intervient dans la conciliation entre droits individuels et droits communautaires (Tarek Ziadé). Il faudra cependant éviter « la logique du contournement dans des questions sensibles, ce qui donnerait un couvert de légitimité » (Lara Karam Boustany).

Quelles sont les garanties de procédure dans le cas de recours par voie d’exception ? Il faudra éviter dans le filtrage par les tribunaux les « jugements constitutionnels négatifs » (Lara Karam Boustany), quand l’exception soulevée n’est pas transmise au Conseil constitutionnel. Il faudra aussi déterminer, comme c’est le cas en France, des délais fort limités (Salah Moukheiber), évitant un surplus d’engorgement de la magistrature avec des moyens procéduraux dilatoires (Tarek Ziadé). On cite le cas de la procédure de l’amparo, ou recours direct par les citoyens en Espagne, où sur 7.000 cas, 80 seulement ont été retenus (Chebli Mallat). Ainsi la Question prioritaire de constitutionnalité en France (QPC) exigera-t-elle au Liban des adaptations en vue d’une « Question prudente de constitutionnalité » (Lara Karam Boustany).


  1. Nomination des membres, quorum et majorité : Des participants relèvent les avantages du système actuel du choix des dix membres du Conseil constitutionnel (Ahmad Takieddine), avec donc une diversité dans la composition, facteur de confiance.

Face à une certaine dramatisation de l’appartenance communautaire, on relève qu’en pratique cette appartenance, souvent amplifiée par des médias, est sans impact sur le comportement effectif dans les débats et l’élaboration des décisions. Deux perspectives se dégagent :

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Un tableau comparatif des attributions de quinze Cours et Conseils constitutionnels dans le monde arabe (Mukles Hussein, doctorant irakien, USJ) montre que les attributions du Conseil constitutionnel libanais sont aujourd’hui circonscrites au minimum. Il y a donc une exigence fondamentale de renouveler le débat avec les révolutions arabes (Chebli Mallat), avec la mise en vigueur concrète du principe de suprématie de la Constitution (Issam Sleiman).

Que faire en conséquence ? Il faudra envisager un mécanisme de suivi (Ghassan Moukheiber), et des cadres civils et scientifiques de pression (Paul Morcos). Le projet du Conseil constitutionnel, élaboré par le président du Conseil, et les actes du séminaire qui paraîtront vers fin 2016, fournissent un matériel incontournable de travail.